jeudi 21 mars 2024

21 mars 2024 : le film du mois : Il reste encore demain

 

Il est fréquent, vous l’avez remarque j’espère, que ce soient les victimes qui s’excusent…

(Jean Casset, I was here, la dernière nuit de Pascal Taïs, E. Jamet, 2022)



Décidément, que ce soit en livres ou au cinéma, je tombe sur des livres qui me rappellent des souvenirs d’enfance et du prolétariat dont je viens, et que je n’ai jamais oublié ni renié, d’ailleurs. Après le livre de Didier Éribon, voici que je tombe au cinéma sur ce film italien qui a fait un tabac là-bas. Et qui semble devoir être un assez beau succès ici, bien qu’en noir et blanc. Et voilà que ce film, qui traite d’une femme opprimée dans sa maison par son mari, m’a irrésistiblement rappelé ce que j’ai vécu chez moi. C'est en plus violent, bien sûr, puisqu’ici la mari bat sa femme, ce que mon père n’a jamais fait. J’aurais aimé que mon frère aîné, Michel, décédé en 2017, voit ce film, ne serait-ce que pour voir qu’il y avait plus mal lotis que chez nous, et qu'il pardonne à ma mère pour sa soumission excessive.

Et dire que l’Utopia ose commencer la présentation de ce Il reste encore demain par ces mots : "Voilà un excellent antidote à la déprime ! Du grand et beau cinéma populaire, « feel good » comme on anglicise, dont on ressort la tête haute". Je parie que beaucoup de femmes risquent de se dire, « c’est pas trop tard qu’on parle enfin au cinéma des femmes battues dans un film tout public », mais aussi de sortir un peu abattues : « Comment a-t-on pu se laisser faire comme ça ? Et c’est pas fini, quand on comptabilise les féminicides encore aujourd’hui ! »



On voit très bien le piège que pouvait être pour une femme le mariage à l’époque du film : il se passe en 1946, après la longue parenthèse mussolinienne qui cantonnait les femmes au rôle de mère de famille (cf Sophia Loren dans Une journée particulière). Le divorce n’existait pas. Que pouvait faire une femme maltraitée ? À sa fille qui lui demande se se rebeller et de partir, elle répond : « Et j’irai où ? » Alors, bien sûr, avec nos yeux et nos oreilles d’aujourd’hui, nous restons ébahis de voir une situation de femme qui nous paraît archaïque. J’avais posé la question à ma mère, après le décès de mon père : « Mais pourquoi tu n’as jamais répliqué, que tu ne t’es jamais rebellée ? » Et elle avait longuement évoqué sa situation : mère de famille nombreuse, ne travaillant pas : « Je voulais la paix du ménage. Bien sûr, s’il m’avait battu, ç’aurait été différent ! » Le fait est que la violence de mon père était avant tout verbale, mais le fait qu’elle ait simplement pensé qu’il aurait pu la battre m’avait fait froid dans le dos !

Alors, si ce film peut aider certaines femmes d’aujourd’hui à se sortir de situations délicates, tant mieux ! Le noir et blanc convient tout à fait au propos et à l’époque évoquée, il rappelle à la fois les comédies italiennes des années 50 et 60 et le néo-réalisme de Vittorio De Sica. Donc j’ai apprécié, même si le film m’a mis mal à l’aise, en me rappelant certains épisodes peu reluisants de mon adolescence et des relations difficiles avec notre père. De même que Delia, l’héroïne du film, ma mère essayait de nous protéger, et elle savait rester digne dans son mutisme que nous comprenions (moi du moins, car mon frère aîné est resté très critique envers elle, autant qu’envers notre tyranneau de père). Heureusement le patriarcat montré dans le film, qui sévissait aussi bien dans les milieux populaires que dans la bourgeoisie, disparaît peu à peu, on peut au moins l’espérer.

De même que Delia, ma mère n’avait guère le temps de s’occuper d’elle-même, elle n’avait garde de contrarier mon père, elle était toujours affairée, s’occupant du ménage, des courses, des enfants, et se voyait gratifiée quand mon père rentrait du travail le soir d’un : « Janette, mes pantoufles ! » tonitruant, au grand dam de mon frère aîné qui me glissait à l’oreille : « Il peut pas aller se les chercher lui-même, ses pantoufles ! » (souvenir de 1963 quand nous n’étions plus internes, mais externes, et que nous découvrions, effarés, les façons d’être de notre père).

Heureusement, dans la tête de Delia, sous son "apparente docilité", se dissimule "une forme de résistance feutrée: argent que Delia gagne par ses petits boulots dont elle détourne une partie pour elle-même (car elle doit remettre normalement la totalité de ce qu’elle gagne à son mari), cigarette fumée en cachette avec une amie, discussions avec son ami d’enfance du temps de l’école, papotage avec les dames du quartier. Le spectateur est complice de ces menues tentatives pour échapper au carcan du mariage, devenu une véritable prison. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ma mère, à mon père et à mon frère aîné. Souvenirs, souvenirs...

 

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