Déjà au XVIIIe siècle, les encyclopédistes Diderot et d’Alembert observaient le déclin de l’hospitalisé en Europe « voyageante et commerçante. […] L’esprit de commerce, en unifiant toutes les nations, a rompu la chaîne de bienfaisance des particuliers ». Aujourd’hui, nous continuons à transformer en or cette hospitalité. Nous la monnayons auprès de nos hôtes de passage.
(Vincent Berthelot, Le facteur humain, Clepscycle, 2020)
J’ai donc continué le lundi 29 vers Amiens, en passant par Paris et le métro de Montparnasse à la Gare du Nord. J’avais prévu deux heures de battement à Paris qui ont été rallongées d’un bon quart d’heure, à cause d’un sac perdu trouvé dans le train prévu, le service de déminage a sévi. J’ai rajouté une étiquette SNCF à mon petit sac à dos, des fois qu’on me chercherait des poux dans la barbe, qui commence à se voir depuis qu’il y a un mois j’ai décidé de ne plus me raser, pour protester à ma façon contre les mesures qui font des non-vaccinés une sous-population privée de se déplacer dans les lieux culturels, voire de travailler dans pas mal de cas. Et j’ai constaté que le nombre d'hommes barbus a augmenté : d’autres auraient-ils eu la même idée ?
Les trains ont bien changé. On y fait de moins en moins de rencontres. Il faut dire que la plupart des personnes sont scotchées sur leur smartphone (parfois sur leur tablette ou sur leur ordinateur), souvent avec des écouteurs aux oreilles, et je ne peux pas les déranger comme je fais parfois à Bordeaux en tapant sur l’épaule d’un quidam à qui je demande mon chemin. Pour voir s’il va me répondre. Que nenni ! En général, le quidam écoute poliment le nom de la rue que je cherche, éventuellement me demande l’orthographe : "comment ça s’écrit", tape l’adresse et me montre le plan me permettant d’y aller. Il remet son écouteur avant même que je dise "merci" ! Dans le train, j’ai plutôt envie de demander : "Vous regardez quoi, là ?" Pour certains, je vois bien qu’ils jouent à un jeu, mais j’en vois d’autres faire défiler à toute allure avec leur doigt tout un tas de lignes... Ça doit être important car ils sont hyper concentrés ! Mystère.
De la même manière que Christine à Vannes, Catherine est venue me chercher à la gare, mais en bus. Se garer aux abords de la gare est un casse-tête. Et elle a le bus gratuit, elle m’en fait profiter. C’est pas à Bordeaux que le bus est gratuit aux seniors ! Personnellement, je pense que ça devrait être gratuit pour tout le monde. Ça désengorgerait les villes de l’excès de bagnoles : quelques villes en France le font et montrent l’exemple, dont Libourne dans ma région.
Et trente minutes plus tard, on grimpe son escalier ; deux étages seulement (on en avait trois dans le même immeuble, à l’entrée suivante quand nous habitions Amiens). J’ai du mal à reconnaître la ville où Lucile est née. Le quartier a bien changé. Les petits commerces ont disparu ou changé de place. De nouveaux immeubles sont en construction, certaines barres ont été démolies ou vont l’être.
un ancêtre des migrants d'aujourd'hui (Musée de Picardie)
Je retrouve le chat, bien fourré, gros et gras comme dans la fable. Après dîner, on fait un scrabble. Le mardi, il fait pas bien beau, et nous restons à l’appartement, je remplis quelques cartes postales et vais les poster (du moins, je le crois). La fille de Catherine, Anaïs et son gendre Boris font une apparition en sortant de l'ophtalmologiste, et repartent vers l'opticien. Après manger, on regarde à la télé Jimmy’s hall, le film de Ken Loach, qui passe sur Arte, et à 17 h nous partons en ville pour assister salle Dewailly à la réunion hebdomadaire du Collectif des Sans-Papiers de la Somme, dont Catherine est secrétaire. La réunion dure une heure et demi. Je suis dans mon élément puisque depuis pas mal de temps je m’intéresse aux migrants, et donc aux sans-papiers. Il y a justement là des sans-papiers, tous d’origine africaine. Je vois que la situation, ici comme à Bordeaux, sans être aussi tragique qu’à Calais ou à Briançon, n’est pas brillante. La misère, le provisoire, sont partout. Le français reste une barrière linguistique. Et les associations ne sont pas toujours d'accord entre elles. Retour à la maison, scrabble et dodo.
Y avait quand même du soleil à Amiens
Mercredi matin, je veux remplir de cartes postales les enveloppes restantes. Damned, je me suis trompé de paquet hier matin, j’ai jeté le paquet d’enveloppes vides dans la boîte postale. Sacrée vieillerie ! Bon, j’invite Catherine au restaurant et après on ira au Musée. On trouve sur les quais de la Somme un joli restaurant où on n'est pas trop serrés, puis, comme il ne pleut pas, on décide d’aller au musée à pied, on passe devant la Cathédrale, une des plus belles de France, et on arrive au Musée de Picardie, situé près de la Médiathèque municipale, lieux culturels interdits tous deux aux non-porteurs du fameux passe, ce qui est le cas de nombre d'entre eux.
Jeux d'enfants (Rodin)
Dans le musée, le secteur où nous resterons le plus longtemps est l’archéologie, comprenant des restes du paléolithique, dont une curieuse Vénus et aussi des vestiges de la ville romaine. Pour le Moyen âge, il y a de belles sculptures et peintures. Les XVIIème et XVIIIème sont peu représentés, mais il y a quelques remarquables peintures et sculptures (dont un Jeux d’enfants de Rodin, deux jeunes enfants nus en train de s’embrasser) pour le XIXème. Le musée a été refait à neuf. Bref, un bel après-midi passé ensemble.
Un lion dévore un héron
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