Sans travail, sans études et sans ressources, il a vu sa demande de séjour rejetée et a reçu une « OQTF » – sigle hideux qu’utilisent les Français pour désigner un avis de déportation.
(Ulrich Cabrel et Étienne Cabrel, Boza !, P. Rey, 2020)
Petit Wat vit dans un bidonville insalubre de la banlieue de Douala, dans la misère, la saleté, sous alimenté, manquant de soins médicaux. Il a la chance d'aller au collège, mais préfère la compagnie de ses copains avec qui il se livre à de petits trafics. Son père ne trouve plus de travail et sombre dans l'alcoolisme. Sa mère se débat pour joindre les deux bouts. L'avenir étant complètement bouché (un travail rare pour continuer à vivre dans la misère ou la délinquance qui rapporte un peu plus), il rêve comme les autres d'une vie à l'européenne et décide de partir, de faire le boza : parvenir en Europe, la terre promise. Le choix est vite fait entre la misère évidente et une hypothétique réussite au delà de la Méditerranée. Le voyage aventureux, particulièrement périlleux, va durer des plusieurs mois. Sa grande sœur lui a donné ses économies pour payer le premier passeur jusqu'au Nigéria. Après, il devra se débrouiller, sans argent et sans papiers.
Petit Wat nous raconte les moments difficiles dans les ghettos, lieux où les migrants sont regroupés dans chaque pays (Niger, Algérie, Maroc), où règne la loi du plus fort et des clans, mais aussi une certaine solidarité. Il se fait au fil des mois des amis éphémères ou plus durables parmi les gamins de son âge (15 ans). Ils luttent ensemble pour essayer de s'en sortir, contre la faim, la soif, la fatigue, la saleté, la corruption, et la violence des hommes, en particulier lors du piège marocain. On comprend en lisant ce récit palpitant le trajet souvent mortel de milliers de migrants : c'est à la fois terrible et émouvant. Petit Wat réussit son odyssée, malgré les risques, découragements, violences, mensonges, fausses espérances mais avec courage, ténacité et culot mêlé d'inconscience. Il nous raconte tout ça avec truculence, naïveté, parfois humour et dérisions, et toujours dans une langue sans tabou. Il finit par franchir le dernier mur entre le Maroc et la zone espagnole de Melilla où il peut enfin crier : Boza !
Inspiré du périple de 9000 kilomètres (une carte déroule l'itinéraire) effectué par Ulrich, qui a dicté son récit à Étienne (son hébergeur français), le roman est dur, toutes les violences (la traversée du Sahara et les squelettes au sol des morts de soif) ne sont pas édulcorées, mais de belles rencontres se font (par exemple Moutoumi, sorte de Gavroche camerounais), écrit à la première personne, avec parfois un tutoiement qui interpelle le lecteur. Arrivé en Europe, rien n'est gagné pour le jeune migrant; le parcours est semé d'embûches, mais les associations et les hébergeurs bénévoles se démènent, souvent contre l'administration : "Moi je ne comprends pas : il y a des gens qui ne font aucun effort et à qui la France dit « oui » parce qu’ils présentent les papiers qu’il faut. Et d’autres qui se battent comme des fous pour se conformer au moule français et qu’on envoie promener". Les pays d'Europe ne sortent pas toujours grandis de l'aventure. Il y a parfois pour le lecteur l'envie de se mettre en colère.
Un livre extraordinaire : les migrants ne meurent pas seulement dans la Méditerranée...
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