L’autre l’exclut de la « reconnaissance » réservée aux êtres de même souche, lui signifie sa différence et son extranéité, parce l’autre croit à ce qu’il voit, non aux papiers qui postulent entre lui et cet arrivant un rapport égalitaire et identitaire qui ne relève que de la loi, et non pas de la réalité visible, irréductible.
(Roland Suvélor, Préface à Joby Fanon, Frantz Fanon : de la Martinique à l’Algérie et à l’Afrique, L’Harmattan, 2004)
Giséle Halimi nous a quittés. Elle s’était battue pour de nombreuses causes : la presse, les médias ont surtout signalé son appui à la cause des femmes, notamment pour le droit à l’avortement, la légalisation de l’IVG, la criminalisation du viol ; certes, les femmes lui doivent beaucoup. On a trop oublié aujourd’hui la haine qu’elle déclencha dans les milieux traditionalistes et chez les machos. Mais, pour moi, ce fut presque comme une illumination, cette rencontre intellectuelle. Elle répondait à mes questionnements sur bien des points.
Sur celui de la place des femmes, bien sûr, mais aussi sur l’anticolonialisme. Ayant pris très tôt conscience du racisme et de l’antisémitisme (doublement : son père était berbère, sa mère juive), elle prit fait et cause pour la cause algérienne et défendit la militante algérienne Djamila Boupacha, arrêtée, torturée et violée, condamnée à mort et qui ne dut la vie sauve qu’aux accords d’Évian en 1962. Son procès donna lieu d’ailleurs à faire connaître les excès le l’armée française en Algérie. Encore une occasion d’attirer la haine dans les mêmes milieux. Elle a participé avec Sartre au fameux Tribunal Russell sur le Vietnam.
Elle s’est aussi engagée avec force pour les droits du peuple palestinien, ce que les médias ne signalent pas. Alors que c’est ce qui saute à mes yeux. Comme elle, j’étais à fond pour l’indépendance algérienne, dès l'âge de treize ans. J’ai manifesté maintes fois contre la guerre du Vietnam quand j’étais étudiant et, de longue date, je me suis mis aux côtés des Palestiniens, injustement dépossédés de leurs terres. Mais évidemment Gisèle Halimi, de par son statut d’avocate, avait plus de pouvoir que moi ; elle a pu défendre Marwan Barghouthi, grand dirigeant palestinien arrêté en 2001, jugé en 2004 par un tribunal de l’occupation israélienne et toujours emprisonné aujourd’hui, comme tant de ses compatriotes. "Elle a également été membre du comité de parrainage du tribunal Russell pour la Palestine en 2009. Ce tribunal d’opinion s’est notamment prononcé sur le crime d’apartheid et sur le sociocide commis par l’État d’Israël contre le peuple palestinien, avant de tenir une session spéciale en septembre 2014 au lendemain de l’offensive israélienne contre la population palestinienne de Gaza, au cours de laquelle il a conclu que cette opération était constitutive d’incitation au génocide et de crimes contre l’humanité" (France-Palestine-Solidarité). Rien que ça ! Et c'est sans doute pourquoi on n’en parle pas.
Lors de l’offensive contre Gaza, interrogée par L’humanité, elle déclara : « Un peuple aux mains nues – le peuple palestinien – est en train de se faire massacrer. Une armée le tient en otage. Pourquoi ? Quelle cause défend ce peuple et que lui oppose-t-on ? J’affirme que cette cause est juste et sera reconnue comme telle dans l’histoire. Aujourd’hui règne un silence complice, en France, pays des droits de l’homme et dans tout un Occident américanisé. Je ne veux pas me taire. Je ne veux pas me résigner. [...] Le monde n’a-t-il pas espéré que la Shoah marquerait la fin définitive de la barbarie ? »
Gisèle Halimi fut également en 1998 cofondatrice d’Attac qu’elle a soutenu dans ses luttes pour l’émancipation des peuples qui, pour elle, nécessitait aussi de s'attaquer à la mondialisation capitaliste. Là encore, elle fut activiste. Cette grande dame nous a laissé plusieurs livres militants, parmi lesquels : Djamila Boupacha (cosigné par Simone de Beauvoir), 1962 ; La cause des femmes, 1973 ; Le procès de Burgos, 1971 ; Ne vous résignez jamais, 2009 et des livres d'entretiens ou de souvenirs que l'on trouvera dans toutes les bonnes bibliothèques, quand elles seront de nouveau pleinement ouvertes. Elles sont en train de perdre des clients et le coronavirus a bon dos ! Son fils, Serge, directeur du Monde diplomatique, suit ses traces. La disparition de Gisèle Halimi résonne en mon cœur comme le glas du XXème siècle. Et le nouveau siècle qui s'annonce ne sent pas bon ! Nous avons besoin de femmes (et d'hommes) comme elle, d'intellectuels engagés (deux gros mots aujourd'hui) et non pas d'histrions qui paradent dans les médias pour ne rien dire.
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