Je
dois faire partie des inadaptés, de ceux qui ont besoin pour
s’endormir, de croire en quelque chose.
(René
Frégni, Carnets de prison ou l’oubli des rivières,
Gallimard, 2019)
Dans
la magnifique collection
Tracts-Gallimard,
dont j’ai déjà lu des titres superbes de Danièle Sallenave, Erri
De Luca ou Régis Debray, je découvre à la faveur du déconfinement
et de ma première visite en librairie au centre ville de Bordeaux,
dans la si bien nommée La
Machine à lire, le
Tract n°11 signé René Frégni. René Frégni et moi, c’est une longue
histoire : il a fait partie des auteurs invités à la prison de
Poitiers où il vint en 2000 et, si mes souvenirs sont exacts, il anima ensuite une soirée lecture à La Bibliothèque de
Buxerolles, où travaillait Claire. Cet homme m’avait
séduit, et plus encore Claire. Cependant, je ne connaissais pas son histoire.
Son
livre parle de la prison : il anime depuis une trentaine
d’années des ateliers d’écriture en prison. C’est un homme
d’une grande humanité et son verdict sur l’institution
« prison » est sans appel : "La
prison, nous le savons tous aujourd’hui, est l’université du
crime. N’importe quel petit voleur à la tire sortira de là
braqueur chevronné et le simple assassin de hasard y deviendra au
fil des années tueur à gages. La prison ne tue pas le criminel
en l’homme, elle renforce le crime et détruit toute trace
d’humanité".
Tous
les individus qui passent par la case
prison
font partie de ceux qui ont eu une enfance détruite, qui ont manqué
d’amour, des enfants qui ont grandi
"devant
des PlayStations, de la violence, de la pornographie. Leur liberté
est de posséder, dès l’âge de dix ans, un survêtement Adidas,
des baskets Nike, un smartphone dernière génération et un peu plus
tard, une Rolex, une BMW ou une Audi A6, toit ouvrant, jantes
Alliage".
Des
enfants perdus devant une société qui a évolué sans savoir les
prendre en compte, au moment où l’école a failli, où l’ascenseur
social ne fonctionnait plus, au
moment où s’installaient le chômage et la misère, [où, au
contraire de leurs parents,
ils]
"découvraient
l’argent. La puissance phénoménale des marques et de l’argent.
Les vitrines fascinantes du capitalisme le plus insolent".
Ils
vivent dans des quartiers où 60 % d'entre eux sont chômeurs.
René
Frégni, de par son enfance difficile, aurait pu tourner comme eux, démontre l’incroyable force de ces ateliers d’écriture, où il se montre capable de révéler aux détenus l’envers de leur triste décor, la puissance des mots, la
capacité de se comprendre, la volonté de se nourrir de textes,
l’envie d’aimer, plutôt que de se cantonner dans la haine.
Il y avait
longtemps qu’un livre ne m’avait pas fait pleurer. Ni fait entrer en
colère contre la télévision, où "on regarde pérorer cette
élite médiatique, suffisante, satisfaite, tellement persuadée de
sa légitimité, enfermée dans son propre ghetto de lumière et qui
nous explique avec de grands mots, ce qu’il faut faire pour
récupérer les territoires perdus de la République" et
qui se montre, à sa manière, elle aussi monstrueuse, pleins d'arrogance et de mépris.
René
Frégni les remet à leur place, et de quelle façon !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire