jeudi 28 mai 2020

28 mai 2020 : des hommes dans la prison


Je dois faire partie des inadaptés, de ceux qui ont besoin pour s’endormir, de croire en quelque chose.
(René Frégni, Carnets de prison ou l’oubli des rivières, Gallimard, 2019)


Dans la magnifique collection Tracts-Gallimard, dont j’ai déjà lu des titres superbes de Danièle Sallenave, Erri De Luca ou Régis Debray, je découvre à la faveur du déconfinement et de ma première visite en librairie au centre ville de Bordeaux, dans la si bien nommée La Machine à lire, le Tract n°11 signé René Frégni. René Frégni et moi, c’est une longue histoire : il a fait partie des auteurs invités à la prison de Poitiers où il vint en 2000 et, si mes souvenirs sont exacts, il anima ensuite une soirée lecture à La Bibliothèque de Buxerolles, où travaillait Claire. Cet homme m’avait séduit, et plus encore Claire. Cependant, je ne connaissais pas son histoire.


Son livre parle de la prison : il anime depuis une trentaine d’années des ateliers d’écriture en prison. C’est un homme d’une grande humanité et son verdict sur l’institution « prison » est sans appel : "La prison, nous le savons tous aujourd’hui, est l’université du crime. N’importe quel petit voleur à la tire sortira de là braqueur chevronné et le simple assassin de hasard y deviendra au fil des années tueur à gages. La prison ne tue pas le criminel en l’homme, elle renforce le crime et détruit toute trace d’humanité". Tous les individus qui passent par la case prison font partie de ceux qui ont eu une enfance détruite, qui ont manqué d’amour, des enfants qui ont grandi "devant des PlayStations, de la violence, de la pornographie. Leur liberté est de posséder, dès l’âge de dix ans, un survêtement Adidas, des baskets Nike, un smartphone dernière génération et un peu plus tard, une Rolex, une BMW ou une Audi A6, toit ouvrant, jantes Alliage".
Des enfants perdus devant une société qui a évolué sans savoir les prendre en compte, au moment où l’école a failli, où l’ascenseur social ne fonctionnait plus, au moment où s’installaient le chômage et la misère, [où, au contraire de leurs parents, ils] "découvraient l’argent. La puissance phénoménale des marques et de l’argent. Les vitrines fascinantes du capitalisme le plus insolent". Ils vivent dans des quartiers où 60 % d'entre eux sont chômeurs.
René Frégni, de par son enfance difficile, aurait pu tourner comme eux, démontre l’incroyable force de ces ateliers d’écriture, où il  se montre capable de révéler aux détenus l’envers de leur triste décor, la puissance des mots, la capacité de se comprendre, la volonté de se nourrir de textes, l’envie d’aimer, plutôt que de se cantonner dans la haine. 
Il y avait longtemps qu’un livre ne m’avait pas fait pleurer. Ni fait entrer en colère contre la télévision, où "on regarde pérorer cette élite médiatique, suffisante, satisfaite, tellement persuadée de sa légitimité, enfermée dans son propre ghetto de lumière et qui nous explique avec de grands mots, ce qu’il faut faire pour récupérer les territoires perdus de la République" et qui se montre, à sa manière, elle aussi monstrueuse, pleins d'arrogance et de mépris. René Frégni les remet à leur place, et de quelle façon !


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