mercredi 24 juin 2020

24 juin 2020 : Thrène pour Claire


Un jour, un homme pour qui il n’y a pas de mort, pour qui il n’y a pas d’infini matériel, pas d’oubli, un homme qui, jetant loin de lui ce néant qui nous opprime pour aller à des buts qui dominent la vie, si nombreux qu’il ne pourra pas tous les atteindre alors que nous paraissions en manquer, cet homme est venu…
(John Ruskin, in Marcel Proust, Pastiches et mélanges)


Un thrène est, selon le Larousse, une « lamentation funèbre, chantée lors des funérailles, particulièrement à l'époque archaïque grecque ». Je propose celui-ci, pour le onzième anniversaire de la mort de Claire.

Thrène pour Claire

toi qui un jour as disparu
qui t’es perdue dans la nuit du monde
là où on ne peut te rejoindre
là où le soleil se brise sur les tombeaux
là où les fleurs que tu aimais
sont devenues les sagaies du silence

je te salue de Guadeloupe où, disais-tu,
on pouvait peupler ce silence
admirer au loin les mornes flagellés de soleil
où, sortant du carbet, tu ruisselais de l’eau ivre des songes

le sperme du vent n’agite plus ta chevelure
ici je gravis la montagne des souvenirs
je me lève comme autrefois dès que l’aube bat de l’aile
quand les oiseaux aveuglés de soleil levant se recueillent

et dans mon âme tu es là
décousant les fils blancs de ma vieillesse
et dans mon corps tu es là
butinant le cœur des feuilles et des fruits

le soir, je lacère les nuages qui obstruent le rayon vert
et je te vois dormant sur l’océan
tandis que j’embrasse les arbres
qui sont les lianes et les branches de nos corps

la même mer palpite dans le creux des lambis
tu m’entoures toujours dans les plis du sommeil
et dans l’insomnie passagère
je t’aperçois voguant sur la pirogue du Temps

je m’assois avec toi dans le nid des étoiles
nous écoutons la brise sous les tamariniers
et la mer faiblement éclairée
nous dicte les paroles de notre chant d’amour
nos poitrines nues ruissellent de lune
et la vie devient comme un parfum de songe



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