Un
jour, un homme pour qui il n’y a pas de mort, pour qui il n’y a
pas d’infini matériel, pas d’oubli, un homme qui, jetant loin de
lui ce néant qui nous opprime pour aller à des buts qui dominent la
vie, si nombreux qu’il ne pourra pas tous les atteindre alors que
nous paraissions en manquer, cet homme est venu…
(John
Ruskin, in Marcel Proust, Pastiches et mélanges)
Un
thrène est, selon le Larousse, une « lamentation
funèbre, chantée lors des funérailles, particulièrement à
l'époque archaïque grecque ». Je
propose celui-ci, pour le onzième anniversaire de la mort de Claire.
Thrène
pour Claire
toi
qui un jour as disparu
qui
t’es perdue dans la nuit du monde
là
où on ne peut te rejoindre
là
où le soleil se brise sur les tombeaux
là
où les fleurs que tu aimais
sont
devenues les sagaies du silence
je
te salue de Guadeloupe où, disais-tu,
on
pouvait peupler ce silence
admirer
au loin les mornes flagellés de soleil
où,
sortant du carbet, tu ruisselais de l’eau ivre des songes
le
sperme du vent n’agite plus ta chevelure
ici
je gravis la montagne des souvenirs
je
me lève comme autrefois dès que l’aube bat de l’aile
quand
les oiseaux aveuglés de soleil levant se recueillent
et
dans mon âme tu es là
décousant
les fils blancs de ma vieillesse
et
dans mon corps tu es là
butinant
le cœur des feuilles et des fruits
le
soir, je lacère les nuages qui obstruent le rayon vert
et
je te vois dormant sur l’océan
tandis
que j’embrasse les arbres
qui
sont les lianes et les branches de nos corps
la
même mer palpite dans le creux des lambis
tu
m’entoures toujours dans les plis du sommeil
et
dans l’insomnie passagère
je
t’aperçois voguant sur la pirogue du Temps
je
m’assois avec toi dans le nid des étoiles
nous
écoutons la brise sous les tamariniers
et
la mer faiblement éclairée
nous
dicte les paroles de notre chant d’amour
nos
poitrines nues ruissellent de lune
et
la vie devient comme un parfum de songe
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