jeudi 13 juin 2019

13 juin 2019 : les violences



Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et qui lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue.
(Helder Dom Pessoa Câmara, Spirale de la violence, Desclée de Brouwer, 1970)


La violence d’État a repris de la vigueur ces dernières années, alors que j’espérais tant dans ma jeunesse que le nazisme l’avait tuée : au contraire, on peut considérer – ce que je dis depuis une dizaine d’années – qu’Hitler a gagné la guerre. Puisqu’on le copie effrontément, certes en plus petit, du moins par chez nous : chasse aux migrants un peu partout en Europe, violences policières contre les gilets jaunes en France et contre les opposants indépendantistes de Catalogne (et bonjour au suffrage universel : les députés élus par les électeurs ne peuvent pas siéger ! Non seulement en Espagne, mais même au Parlement européen, bravo l’Europe!!!), guerres impitoyables menées avec nos armes (Yemen, Syrie, Soudan, etc.), sans oublier la honte de l’Occident, le laisser-faire d’Israël contre Gaza et dans les territoires occupés. Bref, il me tarde de quitter ce monde de plus en plus féroce et inhospitalier…

Déjà Jacques Ellul nous en prévenait il y a plus de cinquante ans, à l’époque où, étudiant à Bordeaux, j’assistais au ciné-club de mon foyer, qu’il daigna animer une fois lors d’une projection mémorable du Nazarin de Bunuel. N’écrivait-il pas à ce moment-là que "Le droit établi par la violence sera toujours l’injustice. Le Bien établi par le ruse ou la contrainte sera toujours le Mal. La foi obtenue par le prosélytisme sera toujours l’hypocrisie. La Vérité répandue par la propagande sera pour toujours le Mensonge" (Exégèse des nouveaux lieux communs, Calmann-Lévy, 1966) ?

On critique beaucoup "les petits, les obscurs, les sans-grades" (jeunes des banlieues, migrants, gilets jaunes) pour leur prétendue violence, qui n’est souvent que la seule manière qu’ils ont de se manifester (au sens d’exister, d’être) et de… manifester. Car, dans notre société pathologiquement technologique et consumériste, où seul l’avoir, les chiffres, la statistique, le quantitatif comptent, ils nous rappellent, à leur manière, que l’être humain a aussi une âme et une vie intérieure qu’on a globalement oubliées d'inclure dans le calcul du PIB – et que celles-ci demandent à se développer.

Encore faudrait-il que les puissants ne soient pas plongés perpétuellement dans un mépris et une vulgarité arrogants comme M. Macron (qui, il est vrai, est loin d’atteindre les sommets de Trump), dont le petit florilège qui suit n’était certes pas attendu de la part d’un ministre ni d’un président de la République, tiré des "macronades" relevées dans le livre Le Président des ultra-riches (Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Zones, 2019) et reprises dans Cœur de boxeur : le vrai combat de Christophe Dettinger (Antoine Peillon, Les liens qui libèrent, 2019)
Alors seulement ministre :
2014 :
17 septembre : Il y a dans cette société [les abattoirs Gad, dans le Finistère, en liquidation judiciaire] une majorité de femmes ; il y en a qui sont pour beaucoup illettrées.
décembre : Je ne suis pas là pour protéger les jobs existants.
2015 :
février : Si j’étais chômeur, je n’attendrais pas tout des autres.
mars : les salariés français sont trop payés.
2016 :
27 mai : [à un cégétiste] Vous n’allez pas me faire peur avec votre tee-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler.
Candidat à la présidence :
novembre : Je ne vais pas interdire Uber et les VTC, ce serait les renvoyer vendre de la drogue à Stains.
2017 :
février : le chômage de masse, en France, c’est parce que les travailleurs sont trop protégés.
Une fois président :
29 juin : Une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien.
juillet : Je n’aime pas le terme de pénibilité. Je le supprimerai, car il induit que le travail est une douleur.
2018 :
juin : Je dis aux jeunes : « Ne cherchez plus un patron, cherchez des clients.
12 juin : La politique sociale… Regardez : on met un pognon de dingues dans les minima sociaux et les gens sont quand même pauvres.
29 août : [parlant des Français au Danemark] le Gaulois, réfractaire au changement.
16 septembre : Si vous êtes prêt et motivé, dans l’hôtellerie, le café, la restauration, ou dans le bâtiment, […] je traverse la rue, je vous en trouve [du travail] !
2019 :
janvier : Les gens en situation de difficulté, on va davantage les responsabiliser, car il y en a qui font bien et il y en a qui déconnent.

Quand l’exemple vient d’en haut, ne nous étonnons pas des dérapages des petits...

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