Une
aurore joyeuse éclate dans mon œil
(Jean
Genet, Marche
funèbre,
in Le
condamné à mort et autres poèmes,
Gallimard, 2015)
Comme
on n'est jamais si bien servi que par soi-même, je voudrais signaler
la parution de mon nouveau recueil de poèmes, Danse
sur les flots,
aux éditions L'Harmattan. Ces textes ont été conçus pendant mes
deux voyages en cargo de 2013 et 2015. Voici des extraits de la postface où
j'éclaire la genèse du livre :
"J'ai accompli le
vœu de Claire, celui qu'elle me dit à l'oreille, dans une dernière
parole audible, en avril 2009, deux mois avant de mourir : « Le
voyage en cargo, il faudra que tu le fasses, pour moi ! »
Les yeux brouillés, je lui en fis la promesse.
Elle s'en faisait une
joie, et pensait que ça me plairait aussi, de sillonner les mers en
cargo. Nous avions vu en 1999 une émission de télévision qui en
parlait ; nous avions emprunté aussitôt à la bibliothèque et
potassé le Guide des voyages en cargo de Hugo Verlomme (en
2006, nous achetâmes la nouvelle édition) ; lors d'une semaine
parisienne, nous étions allés au Cargo club, à la rencontre
des voyageurs en cargo qui se réunissent une fois par mois dans
l'île Saint-Louis, devant la librairie Ulysse consacrée à
la mer. On y confronte les impressions et expériences, on y montre
ses carnets, on donne des conseils aux néophytes : ces doux
dingues, femmes et hommes, nous ont séduits et encouragés dans
notre désir commun.
Claire
savait que pour moi, c'était un vieux rêve d'enfance : je lui
avais raconté que le premier roman que j'avais lu, à neuf ans,
s'appelait Delph le marin,
écrit par Paul-Jacques Bonzon. […]
Claire m'a quitté
prématurément, me laissant désarçonné, mais non oublieux de la
promesse que je lui avais faite. Dès 2010, à l'invitation d'Yvon,
mon ancien collègue de Guadeloupe, où j'avais travaillé trois ans,
je partais pour un premier voyage en cargo, la traversée de
l'Atlantique jusqu'aux Antilles, onze jours aller et quatorze jours
retour, entrecoupés dans l'intervalle par un séjour de trois
semaines en Guadeloupe. Je me revois encore dire au commandant :
« Déjà ! » en apercevant l'île de la Désirade au
si beau nom. J'étais conquis et j'avais trouvé le voyage trop
court. Et la tempête Xynthia, que nous avions affrontée au retour,
ne m'avait nullement effrayé !
En 2013, je suis allé
du Havre à Callao (Pérou) par le canal de Panama et retour à
Rotterdam : cette fois, le périple avait duré cinquante-sept
jours sur la mer, avec seulement de brèves descentes à terre aux
escales. J'en suis rentré d'autant plus enthousiasmé que j'eus
l'impression très nette que Claire était aussi du voyage ;
mais, là encore, ça m'avait paru bien court ! En 2015, j'ai
fait le demi-tour du monde, de France jusqu'en Nouvelle-Zélande et
retour : quatre-vingt-onze jours de mer, par Panama encore, avec
de magnifiques escales dans l'Océan Pacifique ; là aussi,
Claire, quoique d'une façon plus diffuse, était magiquement
présente.
C'est
presque sous sa dictée que tous ces textes ont été conçus [...]
pendant ces deux derniers voyages. Je les ai réunis en un bouquet à
la mémoire de celle qui a, pendant trente ans, enchanté ma vie et
dont la dernière parole fut de favoriser mon rêve d'enfant,
naviguer au long cours : elle fut ma nouvelle Eurydice, j'ai
senti intensément sa présence sur les mers. Elle a cru me lancer à
la recherche de son souvenir, elle m'a intégré dans un grand mythe
universel : elle m'a transformé en Orphée."
Ce
n'est bien sûr pas à moi d'en faire l'analyse littéraire, aussi je
vous soumets simplement, en guise d'appât, deux des textes qui
composent le recueil :
qui déferle si tard
dans la nuit tropicale ?
quel vent claque et
s'échappe des vagues ?
quelle moisson d'écume
en éclatant de rire
disperse de l'argent
sur le bleu horizon ?
quelle pluie viendra
mortifier cette étendue ?
quelles larmes salées
flamberont ?
quels poissons sauront
dans un spasme
faire entendre le
sanglot du moulinet ?
sur le pont, je sens la
chaleur de ton âme
je vois le feu de ton
cœur embrasé
je déguste le sel de
ta peau
qui,
comme une algue, me pimente
* * *
c'est si facile ici de
se noyer
il suffirait de sauter
dans l'océan
et sans garnir mes
poches de cailloux
– où donc les
prendre ici ? –
comme Virginia Woolf je
coulerais au fond
je préfère onduler
comme ta jupe verte
nénuphar au gré de
mes songes
dans la lumière
sanglante du couchant
et, plutôt que de
couler, je danse
j'entoure de mes bras
les bribes de ton corps
que ma mémoire
recompose
l'orchestre marin joue
la valse des vagues
et nous oscillons dans
la coursive
dans nos villes de
pierre
cent fois je t'ai
cherchée
cent fois le chagrin
m'a tourmenté
clandestine, à mon
bras, ici tu te balances
dans
le léger roulis du navire vivant
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