Société
du bruit, société idolâtre : elle immole la quiétude aux
dieux de l'étourdissement.
(Jean-Michel
Delacomptée, Petit éloge des amoureux du silence,
Gallimard, 2011)
Je
continue aussi à fréquenter
l'opéra, comme
je l'ai signalé à propos de Venise, où j'ai revu La
Traviata. Depuis, j'ai revu au
cinéma dans le cadre des programmes UGC Le Trouvère
(du même Verdi), enregistré au Festival de Salzburg, et mercredi
soir sur Arte La flûte enchantée,
du divin Mozart, en direct de la Scala de Milan. L'opéra, branche de
la musique et du théâtre, fait partie des arts qui nécessitent la
répétition : plus on voit (et entend) un opéra, plus on a
envie de le revoir ou de le réécouter. Ce qui n'est pas le cas de
la grande majorité des émissions de télévision, puisque beaucoup
de gens se plaignent des rediffusions pendant l'été !
Pour
La flûte enchantée,
qui reste mon opéra préféré, je l'ai vu six fois en direct (à
Paris, Poitiers, Tours, Bordeaux, en version originale en allemand, à
l'English national opera de Londres, chanté en anglais, à
Montmorillon, chanté en français dans le cadre du Festival Figaro
Si Figaro là !), sans parler du
disque (j'ai eu trois versions sur disques vinyle, j'en ai une sur
cd), des dvd (deux versions), du film de Bergman (vu au moins dix
fois, et que j'ai naguère qualifié de "plus beau film du
monde", quand je l'ai visionné au milieu de l'Océan sur la
Lutetia en 2013) et de
celui de Kenneth Branagh, ou
des passages à la télé.
Grâce aux technologies
actuelles, la compréhension n'est plus un problème, puisque il y a
des sous-titres (dvd, télévision, cinéma) ou un surtitrage (salles
d'opéra), il nous reste donc
à être attentif au
spectacle, à la musique et au chant. C'est
donc l'opéra que j'ai le plus entendu, le plus vu. J'en ai lu
attentivement le livret et le commentaire musical dans le n° de
L'avant-scène opéra
que je possède. Sous son apparence de conte accessible aux enfants
et avec des scènes
humoristiques, c'est un opéra très
profond, et il partie des musiques que j'écoute quand j'ai un coup
de blues. D'aucuns le
trouvent un rien macho (l'homme doit guider la femme, chante
Sarastro) ou raciste (le personnage de Monostatos) ; moi qui ne
suis ni l'un ni l'autre, je passe sur ces détails un peu gênants,
en les replaçant dans le contexte de l'époque. L'essentiel, c'est
la musique et le chant, qui sont merveilleux, enchanteurs. Et
là, c'était magnifique, avec une distribution de jeunes
chanteurs-comédiens.
Les
deux opéras de Verdi font partie de mes préférés de ce
compositeur (le troisième étant Rigoletto).
La Traviata,
transposition en opéra du mélo romantique de Dumas fils, La
Dame aux camélias, est à tous
points de vue une réussite ; il confronte l'étroitesse de la
morale bourgeoise (le père
qui vient demander à Violeta de se sacrifier pour ne pas jeter le
discrédit sur une famille honorable) et
le rachat de la femme perdue par l'amour. La
musique est sublime. Certains, ceux qui n'aiment pas l'opéra,
estiment qu'il faut beaucoup de temps et de chant pour mourir au
dernier acte : mais l'opéra n'a jamais prétendu être une
simple transposition de la réalité. C'en est plutôt une
transfiguration, quand il est réussi.
Je
n'ai jamais vu Le Trouvère
(Il Trovatore) sur
scène, seulement en dvd, à la télévision ou comme cette fois-ci,
au cinéma. Grâce à la carte Pass senior de la Mairie de Bordeaux,
nous avons pu entrer à deux pour moitié prix, ce qui m'a fait
rencontrer une charmante vieille dame qui a partagé le prix de la
place avec moi. Ce que nous referons peut-être à l'occasion. Dans
ces retransmissions au cinéma, le grand écran permet de voir les
détails de la mise en scène, d'admirer les costumes et le jeu des
chanteurs (qui doivent aussi être acteurs), et bien sûr, d'avoir la
musique en stéréo dolby. Placido Domingo, vieillissant, est encore capable
de chanter le rôle du comte de Luna, tandis qu'un jeune ténor
chantait magnifiquement le rôle du Trouvère. La Bohémienne était
splendide, l'amoureuse aussi, et les chœurs, parmi les plus beaux de
Verdi, résonnaient longuement après les avoir entendus. Une très
belle soirée.
Avec
l'opéra, on est loin du bruit et de l'étourdissement que dénonce à
juste titre Jean-Michel Delacomptée : "Quand
m'atteignent les sons d'un baladeur écouté les yeux vides, d'un
spectacle télévisé vulgaire, d'une émission de radio à vomir,
d'une musique lamentable, cet envahissement m'emplit d'un sentiment
de révolte parce que, derrière ces veuleries verbales et ces
refrains bécasses, s'incarnent les étouffoirs qui empêchent de
rêver, cogiter, imaginer ce qu'on veut".
Même si sans doute les
amateurs d'écouteurs dans les oreilles rêvent aussi...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire