«
Vous avez l'air intelligente, pourquoi vous vous voilez ?
»
(Faïza
Zerouala, Des voix
derrière le voile,
Premier parallèle, 2015)
Je
me souviens très bien de la fameuse affaire
du voile
à Creil en octobre 1989. Je venais de quitter Amiens et de m'installer
à Poitiers avec les enfants. Mais Claire allait encore passer trois
jours par semaine à Amiens où elle travaillait encore à mi-temps à la Bibliothèque départementale jusqu'à la fin
décembre. L'affaire y fit grand bruit, car Creil n'était pas
éloigné, et probablement quelques collégiennes ou lycéennes
voulurent y suivre l'exemple des jeunes filles de Creil. Or Claire
avait milité au sein d'une association affiliée à ATD-Quart monde
et participé à des activités "culturelles" et d'alphabétisation dans les quartiers proches de chez
nous. Elle avait donc vu de près nombre de femmes voilées.
Parallèlement, nous avions vu les fenêtres des appartements de ces
mêmes quartiers se hérisser de paraboles pendant les années qui
précédaient.
Autant je me suis accommodé des voiles qui ne m'ont
jamais choqué, des mamans venaient chercher leurs enfants à l'école
avec un foulard sur la tête, et les tenues punk ou gothiques, les
pantalons troués et les tenues négligées me heurtaient davantage,
autant je disais que les paraboles allaient communautariser les
populations qui regarderaient la télé en provenance de leur pays
d'origine, au lieu de leur permettre de se familiariser avec la
langue française par le biais de la télévision. Ce qui n'a
effectivement pas manqué, et qui a accentué également le port du
foulard et du voile chez ces populations déshéritées. Et
personnellement, j'ai toujours été opposé à la loi de 2004 qui,
sous prétexte de laïcité (celle-ci a bon dos), a stigmatisé
l'islam : "Cette
loi a créé plus de dommages qu'autre chose et a donné naissance à
une génération de femmes déscolarisées", dit une des
participantes à ce
livre très intéressant : Des voix derrière le voile, et qui vient de paraître aux éditions Premier parallèle.
.
Faïza
Zerouala, journaliste spécialisée dans les questions de société,
y donne la parole à des femmes (elles ont de 18 à 58 ans) qui ont choisi de porter le voile :
c'est la première fois qu'on les entend, ou du moins que moi je les
entends. En effet, dès qu'il est question de ce sujet, on entend
pérorer à longueur d'émission de radio et de télévision des
hommes et des femmes qui, en spécialistes patentés, parlent à leur
place : qu'il s'agisse d'hommes politiques cherchant à ratisser large
sur les terres du Front national, ou de femmes persuadées que le
féminisme de type occidental est une norme universelle, tous
et toutes s'accordent à penser qu'une femme qui se couvre est forcément une
femme soumise ou forcée, alors même qu'on voit dans le livre que
souvent elles commencent à se voiler ados "sans
l'approbation de leurs parents",
voire par opposition à eux.
Chaque
chapitre comprend une introduction où l'auteur du livre explique
comment elle a choisi et interviewé la personne qui, ensuite,
raconte son histoire à la première personne. Toutes ces dix femmes
interviewées y témoignent de la difficulté de porter le voile,
aussi bien sur le plan personnel, comme signe d'engagement religieux,
qu'à l’égard des autres, famille d'abord (qui a intériorisé
« Il ne faut pas faire de vagues, ça va être vécu comme une
provocation, on n'est pas chez nous ici », mais justement si,
elles rétorquent « C'est parce qu'on est chez nous qu'on doit
montrer ce que l'on est »), et surtout professeurs, employeurs,
passagers de transports en commun, commerçants, fonctionnaires de
l'administration, où elles doivent essuyer des actes et des propos
relevant de l’islamophobie ordinaire (et de sa bêtise), celle du quotidien, celle qui
fait mal et pourrit leur vie de femmes musulmanes en France. Avec son
cortège de peur, de haine, de crainte d'agressions réelles et
rarement médiatisées.
Le
témoignage de Naïma est saisissant : elle a porté le voile
quand elle fut lycéenne puis l’a ensuite retiré. Bonne élève,
particulièrement en histoire (ce qui m'a évidemment interpellé,
comme on dit aujourd'hui), elle fut souvent exclue des cours. Son professeur
d'histoire avait refusé de la présenter à un concours de
dissertations sur la déportation et la Résistance. Elle se
débrouilla toute seule pour s'y inscrire et gagna le prix.
Écoutons-la : "Je
me suis débrouillée sans cours, avec Internet et une biographie de
De Gaulle. Et je suis arrivée première. Ni mon prof, ni le
proviseur ne m’ont félicitée. Alors que je ramenais une coupe au
lycée, et que je lui offrais une pub gratuite car la presse locale
en avait parlé ! […] j’ai décidé d’aller à la cérémonie
en tailleur, et voilée. C’était une revanche. J’ai serré la
main du président du conseil général, qui n’était pas très
content qu’une lycéenne voilée gagne. Les anciens résistants qui
étaient là m’ont, eux, félicitée : - C’est bien que des
personnes de votre origine se souviennent de cette histoire" (faut croire qu'ils sont moins cons que la moyenne).
Elle ajoute, elle qui a compris que pour s'intégrer, il fallait être
bonne en classe (et le voile n'empêche en rien d'étudier) :
"C'est
paternaliste et sexiste de renvoyer la femme à son environnement
social ou familial". J'ajouterai que c'est colonialiste, et que
tant d'années après, on a gardé nos vieux réflexes manichéens
datant de l'ère de l'esclavagisme et du colonialisme.
Enfin,
on apprend dans ce livre que les motivations sont nombreuses et
souvent fort différentes entres ces femmes qui ressentent le besoin
de se couvrir,
et qu'on ne peut parler de voile en général, "tant
ce bout de tissu qui suscite tant de commentaires et de réprobation
recouvre des réalités différentes".
Le foulard, le hijab, le jilbeb, le sitar, le niqab (seule une des
dix interviewées va jusque-là), ne sont pas la même chose, même
si tous peuvent revêtir une signification religieuse. Ce qui pose problème,
c'est le jugement que notre société pose dessus, alors qu'elles-mêmes
ne font pas de prosélytisme, mais ne peuvent pas s'en passer. Elles
veulent simplement être une femme musulmane, et regrettent le discours
extrêmement normatif qui règne en France : en les repoussant de l'espace public, veut-on les enfermer chez elles ?
"C’est
simple, les femmes voilées n’ont pas accès aux médias. Ce sont
des hommes ou des femmes non voilées qui parlent d’elles. Or
certaines choses, quand tu ne les vis pas dans ta chair, sont
difficiles à exprimer",
dit l'une d'elles.
Est-ce qu'on ne peut pas les écouter un instant ? Arrêter de
les victimiser (j'entends bien que l'auteur n'a interrogé que des
femmes qui le portent volontairement) en les amalgamant comme
opprimées par les hommes et/ou la religion, et surtout de les
réduire à leur voile. Je dois être naïf, mais j'aimerais que les
anti-voile lisent ce livre et acceptent un instant d'oublier leurs
préjugés et d'écouter les "silencieuses".
Laissons-les
exercer leur choix et évitons de les juger sommairement, acceptons
de les croire quand elles disent le faire de leur propre initiative.
On peut être contre le voile (après tout, c'est une position, c'est un
droit), mais ce livre nous rappelle que notre prétendu
"universalisme"
ne s'applique pas partout, et que la conscience doit rester libre.
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