Au
fond, c'est bien ça que je ne peux pas leur pardonner : leur
fausseté manifeste, leur embourgeoisement, il n'y a pas d'autre mot.
Ah ! ils avaient des notions bien arrêtées du bien et du mal.
Ils étaient comme il faut tout plein, à montrer en exemple.
(Jean
Meckert, Les
coups)
Je
ne sais pas si l'histoire se répète, mais enfin, tentons une
chronologie. 1967 : loi Neuwirth qui autorise la vente des
produits anticonceptionnels (pilule). L'Église
catholique est contre (elle va encore aujourd'hui jusqu'à déconseiller l'usage du préservatif dans une Afrique noire où le sida fait des ravages !). Notons que la contraception ne sera totalement
libéralisée qu'en 1974. 1975 : loi Veil qui dépénalise
l'avortement et autorise l'interruption volontaire de grossesse
(IVG). L'Église
catholique est contre. Les plus radicaux d'entre eux organisent des
commandos anti-IVG. 1999 : loi instaurant le Pacs (Pacte civil
de solidarité). L'Église
catholique est contre. 2013 : projet de loi sur le mariage pour
tous. L'Église
catholique est contre. Chaque avancée sociétale dans des domaines
qui concernent la sexualité voit un frein dans ce monolithe pur et
dur qu'est le catholicisme. Or, notons que les évêques et prêtres
de cette Église,
ayant fait vœu de chasteté, ne peuvent pas se marier ni avoir
d'enfants. Qu'ils se permettent de donner leur avis (en attendant de
dicter leur loi) à la majorité de la population qui, elle peut se
marier et avoir des enfants, me paraît aberrant. Par ailleurs, dans
notre république laïque, on ne voit pas pourquoi il y a de telles
interventions publiques, la religion relevant de la sphère privée.
Je note d'ailleurs que si les églises sont de plus en plus
désertées, l'opposition de la hiérarchie à ces différentes lois
n'a pas été pour rien dans ce mouvement de désertion accéléré.
Alors,
avec ce projet de loi, qui serait tout de même une reconnaissance
égalitaire de tou(te)s, y a-t-il une menace apocalyptique pour notre
société ? Pour ma part, je vois plus de menaces dans
l'obscurantisme religieux (on notera que presque toutes les
religions : catholiques, protestants, musulmans, juifs, se sont
élevés contre le projet !!!) qui voudrait nous ramener au Moyen âge
et aux sinistres bûchers où périssaient les sodomites. Les
homophobes de tous bords étaient bien présents dans la manif, avec
comme consigne « Mais, on les aime, les homosexuels » (au
temps de Pétain, chacun avait son bon juif aussi, mais globalement,
on était bien content de les voir partir « ailleurs »).
Seulement on ne veut pas qu'ils soient des citoyens comme les autres
avec les mêmes droits. Même s'il est établi qu’un enfant élevé
dans une famille homoparentale n'est pas plus perturbé ou
malheureux, il faut pouvoir préserver les autres enfants qui
risqueraient de faire des comparaisons défavorables aux fameux
couples dans la norme.
Or,
l’accès aux droits dont est actuellement privée une minorité, ne
menace en rien la majorité déjà détentrice de ces droits. Rien
dans la loi n'empêchera les couples hétéros de continuer à se
marier, ça ne leur enlève rien. Et il s'agit d'un mariage civil,
pas religieux, notons-le. Si on gratte un peu sous le vernis des
opposants, on trouve la bonne vieille et archaïque homophobie, il
n'y a aucun doute. « L’homosexualité
menace les fondements de la société, entraîne une perte de
repères, nous disent-ils, car normalement une famille, c'est un
homme, une femme et des (leurs) enfants. » En réalité, il y a
belle lurette qu'avec les familles recomposées, beaucoup d'enfants
ont deux pères, deux mères. Par ailleurs, un certain nombre de
femmes et d'hommes découvrent (ou décident d'accepter de ne plus se
mentir) leur homosexualité après un mariage plus ou moins réussi,
plus ou moins long. Ils continuent à voir leurs enfants, ce qui est
légitime. Enfin, des couples d'homosexuel(le)s existent déjà, et
pour certains, ont procédé à des adoptions ou à des procréations
médicalement assistées (PMA). C'est un fait, mais pour les
croyants, comme écrit Marcel
Proust, dans Du
côté de chez Swann :
"Les
faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils
n'ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ;
ils peuvent leur infliger les plus constants démentis sans les
affaiblir..."
Et ils alimentent
l'hypocrisie : pour la PMA, les femmes sont obligées d'aller à
l'étranger, comme autrefois pour avorter, et pour l'adoption, elle
se fait en cachette, puisque seuls les célibataires ont le droit
d'adopter, et donc les couples homosexuels désireux d'adopter le
font à titre de célibataire, ce qui fait que l'autre membre du
couple n'a aucun droit sur l'enfant en cas de décès inopiné du
« conjoint ».
Le
slogan vu lors de la manifestation en décembre favorable au
projet de loi : « Le mariage pour touTEs va changer la vie des
homosexuelLEs, pas la vôtre », a le mérite de montrer que ce
qui heurte les opposants, c'est qu'un nouvel accès à des droits
dont ils étaient seuls détenteurs (on appelle ça un privilège)
les menace. Jusque-là, ils pouvaient clamer : « Nous, on
est normaux ! », et ne pas se priver de stigmatiser,
insulter, maltraiter, mettre au ban ceux qui n'étaient pas dans la
norme. Après le vote de la loi – et j'espère que le gouvernement
ne va pas se dégonfler, cette fois –, tout le monde sera sur le
même plan. Et tous ces horribles seront obligés d'accepter ce qui
les choque actuellement. "La
méchanceté m'obsède car c'est une forme de petitesse, de
médiocrité, comme une saleté, une crasse de l'humain",
écrivait Gil
Courtemanche, dans Un
lézard au Congo.
Oui,
ce fut un triste spectacle que Paris, la ville-lumière, nous a donné
hier. Le défilé de tout ce que la France a de plus réactionnaire,
rétrograde, retardataire, nous ramène à l'époque de Vichy où,
après tout, Pétain réunissait aussi des foules considérables. Et,
alors que les associations caritatives peinent à boucler leur
budget, là, on a su mobiliser un
million d’euros. Les bien-pensants ont toujours ce mot de sacré à
la bouche, mais pour eux, est d'abord sacré ce qui touche à leurs
intérêts. Et ils restent victimes de leur éducation, en
particulier religieuse : "Nos
censures intérieures et extérieures, nourries de peurs, vont faire
qu'un grand nombre d'entre nous réintégrera à jamais et la tête
basse le clan des frustrés et des « sagesses » à deux
sous",
dénonce justement Christian Hiéronimus, dans L'art
du toucher : initiation à un toucher conscient et créatif.
"Saper
l'opinion fausse – et peut-être toute opinion –, rien n'est plus
beau, et plus utile",
nous dit Danièle Sallenave, dans « Nous,
on n'aime pas lire ».
Et
Georges Picard, dans Tout
m'énerve :
"Si
nous décidons de changer, d'être différents, d'aspirer à une
liberté, alors les jugements affectifs, sociaux et familiaux nous
obligeront sans cesse à vérifier la force et le bien-fondé de
notre motivation. Les uns qui ne remettent pas en question leur
emprisonnement ont tout intérêt à décourager et à faire abdiquer
les autres qui éprouvent le besoin profond de donner un sens à leur
vie".
Michel Billé, Didier Wartz, eux, dénoncent l'espèce de racisme
anti-vieux dans leur beau livre La
tyrannie du « bien vieillir » :
l'altérité ne fonctionne qu'à condition "que
« nous restions entre nous » […] Dans cet espace de
la re-connaissance, la tolérance peut s’exercer".
Et ils ajoutent : "La
norme est nécessaire comme repère. Cependant la norme a une autre
fonction : elle trace des lignes de partage, marginalise, isole,
exclut. Parfois de façon tranchée, radicale comme dans les
génocides ou la question des migrants : parfois de façon plus
insidieuse, plus subtile, en définissant en silence ce qu’est le
corps « normal » par exemple".
Des phrases à méditer en ces temps troublés.
1 commentaire:
Merci !! FY
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