À force d‘hésiter, je choisis le silence.
(Colette, La vagabonde)
(Colette, La vagabonde)
J’ai donc déambulé de nouveau, dimanche 26 juin : le temps est devenu maussade, après la très belle journée d‘hier… Cette fois-ci, je suis parti en sens opposé, vers l’ouest, où j’ai pu admirer la gare centrale, la cathédrale Saint-Nicolas-des-Marins, ainsi qu’une autre église, magnifique et pourtant ignorée de mon guide. Il faut dire que je m‘étais vraiment écarté des chemins balisés par les touristes, et que, fréquemment, j‘étais quasiment seul sur les trottoirs. Pas pu prendre de photos donc, puisque l’appareil ne marche plus. De la fenêtre de l‘hôtel, où je rédige ce papier, j’aperçois les cinq bulbes dorés de l’Église du Sauveur sur le sang versé.
J’ai assisté à l’office de Saint-Nicolas-des-Marins, seule église ouverte au public sans payer (les autres sont quasiment des musées), et comme il devait être vers les 11 h, il y avait une petite foule qui suivait l’office. L’église est magnifique, extérieurement (façade bleu clair, pilastres blancs immaculés, bulbes dorés) et intérieurement, comprend deux étages, l’église inférieure, dite "d’hiver", d’un baroquisme échevelé, éclairée uniquement par des bougies, et entièrement décorée du sol au plafond, avec d’innombrables icônes sur les piliers. C’est à l’étage que se trouve l’église dite "d’été" (parce qu’autrefois, on ne la chauffait pas en hiver) d’où provenaient des chants liturgiques de toute beauté. Vous connaissez sans doute les chants orthodoxes. Je suis donc monté et j’ai pu m’ asseoir contre le mur du fond. Là aussi, la décoration est prestigieuse, et l’iconostase, la cloison du fond, avec ses peintures superbes et ses colonnes enguirlandées, m’a fasciné. Les fidèles, hommes découverts, et femmes, tête couverte, suivaient avec attention le service. J’écoutais les chants, et je me demandais comment le peuple russe, qui me paraît si religieux, avait pu subir soixante-dix ans d’athéisme imposé. C’est pour moi un mystère. Et ce fut un très beau moment.
J’ai assisté à l’office de Saint-Nicolas-des-Marins, seule église ouverte au public sans payer (les autres sont quasiment des musées), et comme il devait être vers les 11 h, il y avait une petite foule qui suivait l’office. L’église est magnifique, extérieurement (façade bleu clair, pilastres blancs immaculés, bulbes dorés) et intérieurement, comprend deux étages, l’église inférieure, dite "d’hiver", d’un baroquisme échevelé, éclairée uniquement par des bougies, et entièrement décorée du sol au plafond, avec d’innombrables icônes sur les piliers. C’est à l’étage que se trouve l’église dite "d’été" (parce qu’autrefois, on ne la chauffait pas en hiver) d’où provenaient des chants liturgiques de toute beauté. Vous connaissez sans doute les chants orthodoxes. Je suis donc monté et j’ai pu m’ asseoir contre le mur du fond. Là aussi, la décoration est prestigieuse, et l’iconostase, la cloison du fond, avec ses peintures superbes et ses colonnes enguirlandées, m’a fasciné. Les fidèles, hommes découverts, et femmes, tête couverte, suivaient avec attention le service. J’écoutais les chants, et je me demandais comment le peuple russe, qui me paraît si religieux, avait pu subir soixante-dix ans d’athéisme imposé. C’est pour moi un mystère. Et ce fut un très beau moment.
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Mais c’était aussi, aujourd’hui, le jour du marathon, pour lequel des groupes sont installés à l’hôtel où je suis. Au cours de ma déambulation, j’ai donc aperçu et encouragé quelques concurrents, notamment le long du canal de Fontanka et tout au long de la Perspective Nevski, que j’ai prise jusqu’au bout cette fois, puisqu‘elle aboutit à Ligovsky prospect, où est situé mon hôtel. Très curieusement et à mon grand étonnement, les Pétersbourgeois étaient totalement indifférents à la course et ne la regardaient absolument pas, sauf les automobilistes bloqués qui, de rage, faisaient entendre un concert de klaxons assourdissant, à me faire regretter de ne pas être resté plus longuement dans l‘église. Le temps, gris, tiède, était idéal, avec même pour la fin du parcours des derniers concurrents, des gouttes d’une pluie faible qui n’a pas dû les gêner beaucoup, puisque je n‘étais moi-même pas mouillé en rentrant à l‘hôtel.
Et j’ai remonté dans le temps, ce temps définitivement révolu où, moi aussi, j’ai participé à plusieurs reprises à cette épreuve redoutablement sévère qu‘est un marathon, dans différents lieux : Condom (trois fois), Millau, Belvès, Amiens (quatre fois), Paris et évidemment New York. En gros, ça a dû me faire un ou deux marathons par an entre 1978 et 1981, puis un aussi entre 1985 et 1988 (deux en 1987, quand j‘ai couru celui de Paris en plus de celui d‘Amiens : Lucile, même pas un an, était dans la poussette à l‘arrivée, et Mathieu me demanda, très sérieusement, si j‘avais gagné ! Il ne savait pas que j‘appliquais à la lettre les conseils du poète grec Cavafy : "Mais surtout ne te hâte point dans ton voyage"), année où j’ai couru pour la dernière fois sur cette distance.
Les sensations, les impressions, les odeurs (de chaleur ou de pluie, de ville ou de campagne, y compris ma propre odeur de transpiration), le poids du corps, la pensée en mouvement tout autant que les jambes, j’aurais voulu les décrire dans un récit resté à l’état d’ébauche, dont le thème était le suivant : le héros, marathonien, profite de ce temps suspendu, celui de la course, pour faire le bilan de sa vie. Il est à la croisée des chemins, il n’a pas encore trouvé sa place, peut-être parce qu’il la cherchait là où il ne fallait pas, il est sur le point de se fiancer, mais il n’est pas très sûr d’être fait pour le mariage, ni peut-être d’être capable d’élever des moutards bruyants. Il a trente ans, le célibat commence sans doute à lui peser, il a besoin de sécurité, il a rencontré une femme qui lui paraît mieux que les précédentes, et qu‘il pense aimer raisonnablement. Mais il ne veut pas se laisser lier par les convenances, se faire prendre par le tourbillon d’un destin qu’il n’aurait pas choisi. Mon idée était que le marathon allait l’aider à prendre la bonne décision : se marier ou pas. Il aurait tenté de répondre, en courant ce marathon, à la question que se pose le héros de Gérard de Nerval dans Sylvie : "Qu’allais-je y faire ? Essayer de remettre de l’ordre dans mes sentiments." Il me semblait alors que la course à pied était un remarquable viatique pour se créer soi-même, pour échapper au désordre du quotidien.
Ç’aurait donc été une sorte de monologue intérieur (j’ai toujours eu le cerveau en ébullition quand je courais), retraçant aussi bien les incidents de parcours, le paysage traversé, le temps qu’il fait (climat) et le temps intérieur (la durée intime, pas du tout la même que quand on ne court pas), les difficultés diverses, points de côté, maux aux pieds ou aux jambes, le ravitaillement et une éventuelle pause-massage, des bribes de conversation avec d’autres coureurs, la défaillance du trentième kilomètre et l’envie d’abandonner, tout cela ponctué de scènes de son passé, de réminiscences qui l’auraient aidé dans son choix. Enfin, c’était quelque chose d’ambitieux, comme à peu près tous les romans que j’ai tenté d’écrire, et c’est cet excès d’ambition qui ne m’a pas permis de le mener à bien. Pour une fois pourtant, je le sentais, ce livre, je le vivais même. Pour un peu, je l’aurais écrit en courant !
Le fait est aussi qu’au fond, si je n’ai jamais réussi à mener un roman à bien, c’est que je ne suis peut-être pas un écrivain ! Ou bien ma paresse naturelle est trop grande… On ne se refait pas !
Et j’ai remonté dans le temps, ce temps définitivement révolu où, moi aussi, j’ai participé à plusieurs reprises à cette épreuve redoutablement sévère qu‘est un marathon, dans différents lieux : Condom (trois fois), Millau, Belvès, Amiens (quatre fois), Paris et évidemment New York. En gros, ça a dû me faire un ou deux marathons par an entre 1978 et 1981, puis un aussi entre 1985 et 1988 (deux en 1987, quand j‘ai couru celui de Paris en plus de celui d‘Amiens : Lucile, même pas un an, était dans la poussette à l‘arrivée, et Mathieu me demanda, très sérieusement, si j‘avais gagné ! Il ne savait pas que j‘appliquais à la lettre les conseils du poète grec Cavafy : "Mais surtout ne te hâte point dans ton voyage"), année où j’ai couru pour la dernière fois sur cette distance.
Les sensations, les impressions, les odeurs (de chaleur ou de pluie, de ville ou de campagne, y compris ma propre odeur de transpiration), le poids du corps, la pensée en mouvement tout autant que les jambes, j’aurais voulu les décrire dans un récit resté à l’état d’ébauche, dont le thème était le suivant : le héros, marathonien, profite de ce temps suspendu, celui de la course, pour faire le bilan de sa vie. Il est à la croisée des chemins, il n’a pas encore trouvé sa place, peut-être parce qu’il la cherchait là où il ne fallait pas, il est sur le point de se fiancer, mais il n’est pas très sûr d’être fait pour le mariage, ni peut-être d’être capable d’élever des moutards bruyants. Il a trente ans, le célibat commence sans doute à lui peser, il a besoin de sécurité, il a rencontré une femme qui lui paraît mieux que les précédentes, et qu‘il pense aimer raisonnablement. Mais il ne veut pas se laisser lier par les convenances, se faire prendre par le tourbillon d’un destin qu’il n’aurait pas choisi. Mon idée était que le marathon allait l’aider à prendre la bonne décision : se marier ou pas. Il aurait tenté de répondre, en courant ce marathon, à la question que se pose le héros de Gérard de Nerval dans Sylvie : "Qu’allais-je y faire ? Essayer de remettre de l’ordre dans mes sentiments." Il me semblait alors que la course à pied était un remarquable viatique pour se créer soi-même, pour échapper au désordre du quotidien.
Ç’aurait donc été une sorte de monologue intérieur (j’ai toujours eu le cerveau en ébullition quand je courais), retraçant aussi bien les incidents de parcours, le paysage traversé, le temps qu’il fait (climat) et le temps intérieur (la durée intime, pas du tout la même que quand on ne court pas), les difficultés diverses, points de côté, maux aux pieds ou aux jambes, le ravitaillement et une éventuelle pause-massage, des bribes de conversation avec d’autres coureurs, la défaillance du trentième kilomètre et l’envie d’abandonner, tout cela ponctué de scènes de son passé, de réminiscences qui l’auraient aidé dans son choix. Enfin, c’était quelque chose d’ambitieux, comme à peu près tous les romans que j’ai tenté d’écrire, et c’est cet excès d’ambition qui ne m’a pas permis de le mener à bien. Pour une fois pourtant, je le sentais, ce livre, je le vivais même. Pour un peu, je l’aurais écrit en courant !
Le fait est aussi qu’au fond, si je n’ai jamais réussi à mener un roman à bien, c’est que je ne suis peut-être pas un écrivain ! Ou bien ma paresse naturelle est trop grande… On ne se refait pas !
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Et, fait extraordinaire, Anna Karénine m'aide à mieux comprendre ma propre vie, Tolstoï y est au mieux de sa forme, et je fais bien de le lire en Russie...
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