Résistants, guérilleros et « terroristes » n’ont ni hélicoptères, ni drones, ni satellites d’observation. Ce n’est pas le ciel leur cousin, mais le sous-sol. Ils sont mariés avec le tunnel, la tanière et ses galeries souterraines.
(Régis Debray, Éloge de la frontière, Gallimard, 2010)
Je ne sais plus que dire devant la destruction meurtrière de Gaza, ni devant les exactions quotidiennes et meurtrières aussi en Cisjordanie ! Autrefois, la colonisation se passait sans qu’on en sache quoi que ce soit, tant les distances et le manque d’informations mettaient sous le boisseau ces mêmes exactions et destructions physiques et morales des peuples sous le joug. Mais aujourd’hui on sait que les peuples sans terre n’existent pas, sauf quand ils sont morts, selon la célèbre formule des États-uniens : « le bon Indien est un Indien mort ». Je vous livre ce poème et ce dessin pour la Palestine.
Il est une terre
au bord d’une mer calme
où les femmes et les enfants promènent leurs corps de noyés
emportés au large de la ville
par un tsunami de bombes qui propulsent dans le ciel
et à l’horizon des rues
immeubles et écoles, églises et hôpitaux en dessinant
d’immenses vagues grises aux reflets d’écume sang et or
mixant la terre au feu et la chair au béton
Il est une terre
que même la pluie ignore
où les mères qui dorment avec leurs enfants serrés
dans leurs bras de rivière d’épices
et blottis contre leurs cœurs tumultueux comme la Besor
ont les membres arrachés de leurs rêves
sous la déflagration de leurs poitrines
écrasées dans le mille-feuille de la nuit effondrée
par le déluge de feu indistinct
de l’armée la plus morale du monde
Il est une terre
trahie par les promesses du soleil
où les femmes apaisent de leurs mains de menthe
leurs enfants brûlés vifs
par la caresse envenimée du phosphore blanc tombé du ciel
comme une malédiction divine sur leur peau de miel
et où elles consolent de leurs mains d’onguents
les moignons encore rougeoyants de la chair de leur chair
amputée court de leur innocence
comme un crime de guerre sur le grand corps de l’Humanité
Il est une terre
brisée par la lune des vengeances
où les mères implorent leurs enfants
de ne plus offrir à l’ogre intifada la colère juste du ghetto
de leurs cœurs assoiffés de liberté
de ne plus jeter leur sac de peau et d’osselets gorgé de rage
à la face de l’occupant
de rester près d’elles à jouer à des jeux sages
sans fronde
ni balle dans la tête au bout de l’avenue du jour
Il est une terre
arasée par la haine coloniale
où les femmes pleurent chaque matin les corps
de leurs enfants calmes
alignés comme des offrandes drapées de lumière
sur l’autel de la cour de l’hôpital
que les officines inquisitrices
viennent encore tourmenter jusque dans la tombe
en discutaillant le chiffre exact
du décompte de l’horreur
Il est une terre
barbelée d’oubli occidental
où les mères emmurées dans leur prison de silence et d’azur
voient des bulldozers calmes
ensevelir vivants les ombres allongées
de leurs hommes blessés et de leurs enfants meurtris
dans des charniers bientôt putréfiés par la rancœur
que leurs cris étouffés feront résonner
pour des siècles
et des siècles
Il est une terre
abandonnée des Nations
où les femmes, les enfants et les hommes
n’ont plus à manger et à boire que la poussière du chemin d’un
nouvel exode
sur lequel le corps martyrisé de tout un peuple avance digne
mais affaibli par les stigmates d’un nouveau génocide
que la chair, le sang, les balles et les missiles
gravent au ciel indélébile de la mémoire humaine
sous un nouveau nom
Palestine
Laurent Thinès
Et le dessin de Karak
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire