Le retour est un moment savoureux parce que le dépaysement récent confère à tout le spectacle familier quelque chose de neuf, comme si on avait changé imperceptiblement, et pour quelques jours, changé d’angle de vue avant que tout ne se remette en place, mais jamais absolument comme c’était avant qu’on parte, et c’est le grand acquis des voyages.
(Charif Madjalani, Mille origines, Bayard, 2023)
Naguère, par moi-même, et aussi sous l’influence de Claire, de certains amis, j’avais envie de voyager, de me dépayser, puis de rentrer chez moi, « vivre entre mes amis le reste de mon âge », en paraphrasant Joachim Du Bellay dans son célèbre sonnet Heureux qui comme Ulysse… J’avoue que, depuis le COVID, je ne bouge plus beaucoup ; finis les voyages au long cours en cargo, les longues randos à bicyclette, les séjours en Guadeloupe pour visiter mes amis, à Venise ou à Marrakech pour des festivals de cinéma…
Mais il n’est pas besoin d’aller très loin pour se dépayser : la lecture peut y contribuer, et le cinéma encore plus. Je participe à une lecture commune de La plaisanterie, de Milan Kundera, et je suis transporté dans la jeune république socialiste tchécoslovaque de la fin des années 40 et des années 50. et, avec Si seulement je pouvais hiberner, je vis les difficultés d’une famille en Mongolie.
Ulzi est un ado de dix-sept ans, l’aîné d’une fratrie de quatre enfants élevés par leur mère dans une yourte de la banlieue populaire d’Oulan Bator. Le père a disparu et la mère tire le diable par la queue. Ulzi est obligé de faire des petits boulots pour l’aider à joindre les deux bouts, et payer le charbon indispensable pour chauffer. La mère, qui est devenue alcoolique, décide de repartir à la campagne où c’est plus facile pour elle de trouver du boulot. Elle emmène le petit dernier.
Voilà notre Ulzi chargé de famille ; il est très bon en classe, surtout en physique, et son professeur l’encourage à tenter les concours nationaux, qui lui permettraient d’obtenir une bourse pour aller dans une grande université, voire à l’étranger ; doit-il donner la priorité à ses études au risque de négliger son frère et sa sœur ? Un vieux voisin l’aide autant qu’il peut. Ulzi prend le temps de s’occuper des deux jeunes, mais ne peut pas tout. La misère est quotidienne, avec la faim, le froid, son lot d’injustices. Mais Ulzi fait front avec un courage indomptable.
La photographie (qui reste sobre et ne cherche pas à esthétiser la pauvreté), le jeu des enfants (non professionnels) sont magnifiques ; c’est un film qui fait du bien, avec pourtant la description de la misère, du froid, de la faim, il va avoir un très bon bouche à oreille, et il nous console de tous les films inutiles – et ils légion – qui encombrent les écrans. Courez-y !
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