dimanche 12 novembre 2023

12 novembre 2023 : le poème du mois, William Ospina

 

Quand nous nous plaignons

que la chambre soit l’antichambre de l’enfer

disons-nous qu’elle pourrait être un enfer pur et simple

sans un seul rayon de beau ou de bien.

(Czeslaw Milosz, Traité de théologie, trad. Jacques Donguy, Cheyne, 2005)


Je pense que le moment est venu de présenter le poème du mois. Car, coincé chez moi par une sciatique, et n’étant pas sorti de la maison depuis dix jours, tant je marche avec difficulté, je lis beaucoup de poésie, à défaut d’en écrire. Mais ça peut revenir. J’ai retrouvé dans ma bibliothèque de poésie quelques livres parus chez Cheyne, au Chambon-sur-Lignon et achetés chez eux pendant leur Festival de poésie Lectures sous l'arbre du mois d’août. J'y suis allé deux fois, dans cette manifestation de la commune de la Haute-Loire, célèbre pour avoir sauvé des enfants et des adultes juifs pendant la guerre.

Parmi les livres de cet éditeur que j’ai lus dernièrement, figurent Traité de théologie (en dépit de son titre, il s'agit bien de poésie) du Polonais Czeslaw Milosz (prix Nobel de littérature 1980), À qui parle Virginia en marchant vers l’eau du Colombien William Ospina et Les arbres ne rêvent sans doute pas de moi du Danois Søren Ulrik Thomsen. Je vous propose un texte de William Ospina, tout à fait d’actualité en ces temps sombres.

            Les enfants du soldat


Mon père était instituteur. J’avais sept ans.

Un jour il a reçu la lettre, comme tous les autres.

Il avait été admis au parti

(bien qu’il n’ait jamais demandé à y entrer).

Ils lui adressèrent un écusson avec la croix gammée.

Quelques mois plus tard, il marchait sur la Russie.

Ma mère était malade cet hiver-là,

nous, les trois enfants, nous devions tout faire à la maison.

Parfois des lettres arrivaient du front de l’Est.

La guerre était une absence, un silence, une peur qui grandissait.

Puis les lettres n’arrivèrent plus et la guerre s’arrêta.

Et les hommes revinrent, et lui continuait sur le front.

Comme fut longue l’enfance, comme l’Allemagne est triste dans la

mémoire !

Nous allions tous les trois chaque samedi

attendre le train.

Sans parler, nous l’attendions.

Et ma mère croyait que nous nous amusions dans les champs voisins.

D’année en année, sans faute, chaque samedi,

sans le dire à personne,

cette gare nous a vus grandir en silence.

Quand la nuit tombait, nous rentrions à la maison.

(William Ospina, À qui parle Virginia en marchant vers l’eau ?,

trad. Tania Roelens, Cheyne, 2004)

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