Elle part, elle s'évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
(Jean de La Fontaine, Le lièvre et la tortue)
Je reviens donc d’une de mes virées coutumières, d’un de mes vagabondages féconds, d’une de ces vadrouilles qui ont le don de m’enchanter et, j’espère, de faire plaisir aux individus, femmes et hommes, à qui je rends visite. Et ils et elles (normalement "ils" englobe "elles", mais s’il nous faut à toute force faire comprendre qu’on parle des deux, n’est-ce pas plus joli d’écrire "ils et elles" plutôt que l’horrible "il.elle.s" ou pire "iels" que j’ai trouvé en écriture inclusive1), me font le cadeau inestimable, de me redonner de la force, du courage, du désir de "vivre" autrement que dans une inquiétude et une peur mortelles. Et, en échange, j’espère aussi leur rendre, au moins momentanément, un minimum de joie de vivre, de sérénité, en dépit de la vieillesse qui vient, de la maladie qui nous tombe dessus et de la mort qui nous guette.
Et puis, dans mes voyages, il y a la lenteur, cette lenteur qui fait la force de la tortue de La Fontaine. « Pourquoi donc êtes-vous si pressés, vous autres, "métros"2, nous nous dirigeons tous vers le cimetière ! Autant y aller le plus lentement possible ! », me disait un vieux Guadeloupéen en 1983. je n’ai jamais oublié cette parole de sagesse, et c’est pourquoi je privilégie la lenteur dans ma vie : elle permet la méditation, la vie intérieure, le silence, le calme, la douceur, alors que la vitesse exacerbe la violence, le fureur, le toujours plus, l’absence de pensée et la négation de la vie.
Mon idéal de voyage reste donc le voyage à vélo, mais il est évidemment de plus en plus difficile à pratiquer à mon âge. Songeons que je n’ai encore roulé que 1250 km depuis le 1er janvier. Il est vrai qu’il a beaucoup plu, que je me suis beaucoup absenté (et dans ce cas, pas de vélo pendant mes absences), et que je n’ai pas un vélo facile à transporter, contrairement à cet ancien cheminot rencontré en 2007 qui passait ses hivers à Ceylan (Sri Lanka aujourd’hui) en apportant dans la soute de l’avion son vélo pliant, en allant à la rencontre des hommes3 de ce pays qu’il révérait.
J’envisage dans le futur, pour mes courts déplacements (Poitiers, Deux-Sèvres, Landes, Toulouse, Aveyron, etc.), de prendre exclusivement des TER et d’emporter mon vélo dedans. Je serai plus autonome, j’y rencontrerai bien des "gros bras" pour m’aider à accrocher la bicyclette dans ces trains. Et, au besoin, je finirai par acquérir un vélo pliant, puisque le cheminot dont je parlais, je l’ai rencontré lors d’une randonnée de groupe de trois jours, et il nous suivait sans problème. Il vivait le reste de l’année à Paris où il utilisait aussi ce mode de transport.
La lenteur, c’est sain, on prend son temps, on ne le zappe pas, on ne s’énerve pas (il est vrai qu’on énerve les autres, j’ai vu bien des automobilistes qui semblaient pester, quand ma présence à vélo les obligeait à ralentir pour me dépasser sur les routes départementales), je dirai presque qu’on "écoute" le temps, qu’on le voit passer, comme quand j’étais petit je voyais de la fenêtre de notre chambre passer les cortèges endeuillés qui suivaient les corbillards et que j’écoutais le silence quasi religieux de ces gens en habit noir. Et comme, en vieillissant, je marche moins vote, je pédale moins vite, je ne me dépêche plus (à quoi bon risquer une chute !) pour attraper le bus ou le tram, je suis en accord avec moi-même.
1 Je viens de lire un livre entier en écriture inclusive, Les non-frères au pays de l’égalité, de Réjane Sénac (Presses de Sciencepo, 2017). Cet essai, fort intéressant en soi, est rendu presque illisible, par l’abus de cette forme d’écriture. Il me semble que les féministes ont d’autres combats plus utiles à mener que celui de rendre la lecture difficile.
2 C’est le nom donné en Guadeloupe aux Français de France.
3 Et chaque fois que je dis cette expression,je pense au beau récit de Benigno Cacérès La rencontre des hommes (Seuil, 1950) que j’avais rencontré en 1971.
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