dimanche 10 avril 2022

10 avril 2022 : Kinuyo Tanaka, cinéaste japonaise

 

Le messager : Révérer humblement les mystères des dieux, rien de plus beau. Je pense que telle est la sagesse pour les mortels qui savent être sages.

(Euripide, Les Bacchantes, trad. Yves Florenne, Club français du livre, 1962)


J’ai achevé le cycle de films de la cinéaste japonaise Kinuyo Tanaka (1909-1977), grande actrice japonaise chez Ozu, Mizoguchi, Kurosawa, Naruse et autres grands cinéastes classiques de l’âge d’or du cinéma japonais, et qui réalisa elle-même six films de 1953 (Lettre d’amour) à 1962 (Mademoiselle Ogin) ; j’ai tout vu et j’ai été séduit, je peux même dire ébloui, par la délicatesse de tous ces portraits de femme, en même temps que par la modernité avec laquelle Tanaka inscrit ces portraits dans un féminisme presque contemporain. Chapeau, et bravo à l’Utopia de Bordeaux d’avoir fait durer le cycle plusieurs semaines, ce qui m’a permis de tout voir ! Un pur bonheur !

Lettre d’amour est un film de l’après-guerre japonais. Reikichi, un marin démobilisé vit dans l’obsession de son amour de jeunesse, une certaine Michiko. Il la retrouve en veuve contrainte de se vendre aux Américains pour survivre. Si Reichiki est à la dérive dans ce Tokyo d’après-guerre, Michiko, plus réaliste, doit se prêter aux compromissions dans ce monde nouveau. Pour un coup d’essai, ce premier film tourné en décors naturels fut un coup de maître.

La lune s’est levée (1955) montre un père (Monsieur Asai) qui vit à Nara et abrite encore ses trois filles : Chizuru est veuve ; Ayako, en âge de se marier, montre peu d’empressement à quitter le foyer ; la benjamine, Setsuko, vingt ans, a une vocation de marieuse. Elle pousse Ayako et même Chizuru à se caser, et en oublie de voir auprès d’elle son jeune ami qui a du sentiment à son égard. Sur un scénario d’Ozu, une délicieuse comédie à la Jane Austen, admirablement bien jouée.

Maternité éternelle (1955) voit l’héroïne Fumiko se consoler d’un mariage malheureux en fréquentant le club de poésie de sa petite ville. Fumiko ne reculera devant rien pour bousculer son destin et poursuivre son rêve de liberté. Étonnant portrait pour l’époque d’une femme libre au destin tragique. J’ai dû essuyer mes yeux à la fin. Sublime !

La princesse errante (1960) se déroule entre 1937 et l’après-guerre. Ryuko, jeune fille de bonne famille est choisie pour épouser le jeune prince de Mandchourie. Elle doit quitter le Japon et s’acclimater à cette nouvelle vie. Film historique et réaliste qui montre la maîtrise de Tanaka pour décrire le destin de la jeune princesse. Un beu portrait de femme, une fois de plus.

La nuit des femmes (1961) nous montre une héroïne placée dans un centre de réhabilitation d’anciennes prostituées. Kuriko doit batailler ferme pour s’en sortir, car le passé et le harcèlement des hommes la rattrapent. Ballottée d’un emploi à l’autre, menacée sans cesse de retomber dans les bas-fonds interlopes, Kuriko vat-telle rebondir ? Encore un film frémissant de justesse et sans concessions.

Mademoiselle Ogin clôture en beauté la carrière de cinéaste de Tanaka avec une superproduction en scope et couleurs qui se déroule au Xvème siècle. L’héroïne, fille d’un maître de thé, tombe amoureuse d’un samouraï chrétien, et à ce titre persécuté, qui la repousse. Malgré des difficultés de tournage, c’est de nouveau un film splendide visuellement et un portrait de femme époustouflant.

Que de beauté dans tous ces films ! Et qu’il est regrettable qu’ils ne soient arrivés en France que soixante ans après. D’un autre côté, j’ai pu voir l’ensemble en trois semaines et apprécier la cinéaste... Sortie prévue en un coffret de dvd pour bientôt chez Carlotta.


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