Le pseudo-universalisme, humanisme eurocentré, est à la fois une confiscation, un instrument pour faire taire et une fabrication de l'ennemi intérieur.
(Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang, Universalisme, Anamosa, 2022)
Cette phrase de Franz Bartelt (Sans le spectacle du crime, que serait l’existence des gens probes, sinon une morne plaine ? ) que j’avais mise en exergue le 4 mars dernier, de retour de Pézenas, après avoir vu aux actualités télévisées la manière dont on traitait l’info depuis quelques années, me revient sans cesse à l’esprit. Heureusement que je lis autre chose que les médias "mainstream" ! Et qu’à Pézenas, au cinéma, j’ai eu l’occasion de voir des films qui, même violents, proposaient en général une réflexion sur l’humanité, en montrant bien que notre humanisme occidental est à relativiser, et n’est pas, ne peut pas être aussi universel qu’il le prétend.
Donc le festival de Pézenas était consacré aux cinématographies brésilienne et portugaise. Point commun, la langue, mais que de différences ! Au Brésil, pays immense, neuf et très inégalitaire (racisme omniprésent), le cinéma propose des images de grands espaces, de terres arides, mais aussi de mégalopoles. Le Portugal, petit pays européen, est plus figé dans son passé colonial et fasciste, puis entré dans l’Europe, et tente au cinéma de concilier tout cela. Dans l’ensemble, beaucoup de très bons films, parfois excellents, toujours intéressants.
Parmi les films brésiliens, je recommande :
* La parole donnée (Palme d’or à Cannes en 1962) d’Anselmo Duarte : un pauvre paysan a fait le vœu de porter une lourde croix à pied jusque dans l’église de Sainte Barbara si son âne malade se rétablissait. Mais le curé refuse de le laisser entrer avec sa croix dans l’église. Un film splendide dans la lignée du néo-réalisme italien.
* Avril brisé (2001, d’après le grand romancier albanais IsmaIl Kadaré), de Walter Salles : la tragédie des vendettas familiales, un homme est chargé de venger la mort de son frère. Bouleversant.
* Carandiru, d’Hector Babenco (2003) : la plus grande prison du Brésil, une violence endémique. Un médecin proposer un programme de prévention contre le Sida. Mais la situation est explosive et les détenus déclenchent une mutinerie écrasée par l’armée. Un film rageur.
* Cinéma, aspirines et vautours, de Marcelo Gomes (2004) : en 1942, un jeune Allemand fuyant le nazisme et un paysan fuyant la sécheresse se rencontrent. Un voyage initiatique et une belle amitié.
* Casa grande, de Fellipe Barbosa (2014) : confrontation des classes sociales. Un jeune ado bourgeois découvre la misère et l’hypocrisie sociale. Très intéressant.
* Bacurau, de Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles (2019) : de riches Américains convoitent des terres dans le Nordeste pour en chasser les paysans. Les villageois s’organisent pour leur résister. Fulgurant.
Pour les films portugais, sont à voir :
* Les vertes années, de Paulo Rocha (1963) : Julio débarque de sa campagne pour devenir cordonnier chez son oncle. Il rencontre Ilda, une jeune femme, ils sont amoureux. L’arrivée dans l’âge adulte dans un monde très dur. Beau film de la "Nouvelle vague" portugaise.
* La vengeance d’une femme, (2011, d’après une nouvelle de Barbey d’Aurevilly) : adaptation magnifique de la nouvelle extraite du recueil Les diaboliques. D’un esthétisme qui rappelle Visconti et Oliveira. Une histoire très sombre pour un régal de la vue.
* Volta a terra, de João Pedro Plácido (2015) : le fond de la campagne traditionnelle, un village où l’on vit en autarcie d’une agriculture de subsistance alimentaire. Le héros est un jeune vacher qui tente de se construire et rêve d’amour. Un film fait d’impressions en demi-teinte dans des paysages très beaux.
* Saint Georges, de Marco Martins (2016) : Jorge, placé dans des conditions familiales difficiles, est recruté par une agence de recouvrement de dettes impayées (aux méthodes terribles), tout en s’entraînant pour des matches de boxe. La mal social dans toute sa splendeur dans un film très noir.
* Rage, de Sérgio Tréfaut (2018) : le Portugal des années 50, la tension entre paysans pauvres, quasi serfs et l’oligarchie terrienne qui les asservit. Dans un noir et blanc très pur, la dénonciation de la misère et de l’inégalité (c’est peu dire) sociale. Superbe.
Concernant le reste du programme (films européens récents ou inédits), j’ai bien aimé :
* Ceux qui nous restent, d’Abraham Cohen (France, 2017) : la lutte des salariés du cinéma d’art et d’essai Le Méliès, à Montreuil, pour sauvegarder le cinéma. Un docu plein d’intérêt pour les cinéphiles.
* La tendresse, de Marion Hänsel, (Belgique, 2013) : Olivier Gourmet et Marilyne Canto transcendent ce beau film. Un couple belge séparé est réuni quelques jours pour récupérer leur fils gravement blessé en faisant du ski. Avec la superbe chanson éponyme de Bourvil sur le générique de fin. Film qui fait du bien.
* Les femmes du pavillon J, de Mohamed Natif (Maroc, 2022) : dans un quartier psychiatrique où sont enfermées des femmes, nous suivons le quotidien de quatre d’entre elles, entre rires, pleurs et envie de s’évader. La société marocaine vue sous un certain angle. Superbe, devrait sortir bientôt.
Et puis, on ne se lasse pas d’errer dans Pézenas, petite ville aux rues étroites du centre ville, aux très belles maisons du XVII et XVIIIème siècles, au marché magnifique, aux petits musées consacrés à l’enfant du pays Bobby Lapointe ou à Molière qui y a débuté avec sa troupe avant de rejoindre Paris. Les gens sont simples, accueillants, prompts à papoter, tout ce que j’aime quand je me déplace… Et puis un temps agréable, alors que j’avais quitté Bordeaux sous les nuages et la pluie pendant quatre jours de suite. Et revoir quelques membres du groupe de Venise. Que du bonheur !
mon gîte à Pézenas, à côté du Théâtre Molière
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