Il suffit que la méfiance existe pour que n’importe qui devienne suspect.
(Bertolt Brecht, Grand-peur et misère du IIIème Reich, trad. Pierre Vesperini, L’Arche, 2014)
Je n’avais rien lu de Colette depuis un moment. Mais Antoine Compagnon, en nous racontant tous les jours sur France inter "Un été avec Colette" m'a donné envie de puiser dans ma bibliothèque et de sortir La seconde (1929), inconnu de moi à ce jour, mais que j'avais acheté il y a quelques années. J'étais plutôt cet été plongé dans George Sand jusqu’au cou, achevant une belle étude de Maurice Toesca intitulée Le plus grand amour de George Sand (Albin Michel, 1965) amour qui, d’après lui, fut l’amour maternel : celui de ses propres enfants, et en particulier de son fils Maurice, qu’elle couva. Mais l’auteur constate que ses amants furent presque tous bien plus jeunes qu’elle, en particulier les deux plus célèbres, Musset et Chopin, pour qui l’amour passion dura peu, et elle les traite volontiers dans sa correspondance d’enfant ou de gamin. Elle eut pour eux un amour maternel ou de la "sollicitude maternelle" d'après Maurice Toesca. D’une certaine façon, cela aussi la rapproche de Colette.
Donc, je me suis plongé dans La seconde, un roman que je ne connaissais que de nom et qui m’a fortement intéressé. La "seconde", c’est Jane, secrétaire du grand Farou, écrivain de théâtre de boulevard habitué au succès public et, bien que marié, homme à bonnes fortunes. Jane vit avec eux ; il y a aussi le petit Farou, un adolescent issu d’un premier lit. Et Jane sert aussi de femme de chambre à Fanny, la femme de Farou, en quelque sorte la "première" : elles cousent et cuisinent ensemble, et Jane la sert avec plaisir. Tout le roman est vu du point de vue de Fanny. Fanny découvre un jour que Jane, bien plus jeune qu’elle, est en fait la maîtresse de son mari, comme le sont de nombreuses jeunes actrices qui cherchent chez lui un rôle de débutante et jouent dans ses pièces ; pour ces dernières, ça ne fait à Fanny ni chaud ni froid, elle sait que ce sont des passades. Mais Jane, là, chez elle, ça lui fait mal et la jalousie s’installe. Celui qui est jaloux aussi, c’est le petit Farou, en quête d’une première femme, et qui est amoureux transi de Jane.
Dans cette maison de vacances où ils passent tous quatre l’été sauf pendant les déplacements de Farou à Paris pour surveiller les répétitions de sa prochaine pièce), l’atmosphère finit par devenir pesante jusqu’au jour où Fanny avoue à Jane qu’elle a découvert le pot-aux-roses et finit pas organiser une discussion avec son mari, retour de Paris. Pour Fanny, la priorité, c'est de conserver son mariage avec Farou qui dure depuis douze ans, de continuer à veiller sur l'éducation de son beau-fils, son "amour" pour les deux, et peut-être bien pour les trois. Car elle ne peut plus se passer de Jane. Fanny s’efforce de cacher son chagrin : car les incartades de Farou, c’était une chose, mais là, ça dépasse les bornes. Farou est stupéfait, il n’a jamais caché ses infidélités, elle n’en avait jamais fait un drame. Fanny se dit que l’amitié, y compris l’amitié amoureuse, est plus importante, et que Farou ne mérite pas qu’elle lui sacrifie Jane.
Une étude de la naissance de la jalousie très étonnante et qu'on lit avec intérêt. Comme souvent, chez Colette, les hommes n’ont pas le beau rôle : "Ce n'est pas si grave, un homme, ce n'est pas éternel. Un homme c'est... ce n'est pas plus qu'un homme". Farou, auteur à succès, jouit de son pouvoir et en abuse. Tout se déroule dans la maison de vacances, unité de lieu donc, propice à une étude sur la jalousie, d’autant plus que visiblement, le jeune Farou se montre aussi jaloux de son père qui, en faisant de Jane sa maîtresse, l’a empêché de faire ses premières armes dans la sexualité. Si Fanny acceptait passivement les incartades de Farou, c’est qu’elle était sûre qu’il lui reviendrait. Jane, elle, est devenue sa confidente, presque son amie. Ce qui rend la trahison plus douloureuse. En fin de compte, Farou laisse les deux femmes trouver une solution. Le roman se termine sans vraie réponse. Au lecteur de deviner la suite. Quant au jeune beau-fils de Fanny, il ressemble au Phil du Blé en herbe, autre adolescent lui même inspiré du beau-fils de Colette, Bertrand de Jouvenel, qui fut son amant. Un beau roman très féminin, servi par une écriture élégante ("Maint repli de sa mémoire cachait des souvenirs de petites larmes aigres, d'insomnies, de lettres soustraites, puis restituées en secret à Farou. Prénoms, écritures inconnus, dessins effaçables... Les embellies venaient vite, elle les pouvait escompter, et faisait bon visage en attendant"), comme la plupart des romans de Colette.
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