jeudi 10 décembre 2020

10 décembre 2020 : morale sexuelle et hypocrisie sociale

 

Sur le sexe et les pratiques sexuelles, on ne peut que mentir. Toute enquête sociologique invite au mensonge.

(René de Ceccaty, Pasolini, Gallimard, 2005)


Deux romans que je viens de lire illustrent plus ou moins cette phrase de l’auteur de la biographie de Pasolini.

 


Dans Sexy de la grande romancière américaine Joyce Carol Oates (souvent pressentie pour le Prix Nobel), roman traduit par Diane Ménard (Gallimard,2007), on suit Darren, un lycéen de seize ans, très beau et qui est étonné de voir qu’il est souvent regardé, ce qui le gêne considérablement, car pas seulement par des filles : "Certains de ceux qui le regardaient, fixant des yeux affamés sur lui, n'étaient ni des filles, ni des jeunes femmes, mais des hommes. Il voyait ça dans leur regard à quoi ils pensaient, et ça le dégoûtait." Il vit ça assez mal. Il est très fort dans les compétitions de natation où il représente son lycée, mais il se sent seul, y compris dans ses famille : "rien n’est plus gênant que d’entendre son père dire : « Quand j’avais ton âge. » C’est la dernière chose qu’on a envie d’entendre de l’un de ses parents, jamais".

Un jour de forte pluie, au sortir du lycée, il accepte d’être reconduit chez lui par Mr Tracy, le professeur de littérature anglaise, dans sa voiture. Son malaise s’accroît, car Darren ne pense pas mériter les encouragements ni l’intérêt de l’enseignant, ses notes étant loin d’être brillantes. Il est mal à l'aise tout au long du parcours; cependant, il ne se passe rien. Mais à la fin du trimestre, il obtient un 14 immérité (mais n’en parle pas aux autres), alors qu’un de ses condisciples n’obtient que 2. Avec deux autres élèves du lycée, celui-ci ourdit un complot accusant le maître d’être homosexuel et même pédophile. La rumeur se répand, Mr Tracy est obligé de prendre un congé de maladie, et sollicite Darren pour dissiper les bruits, puisqu’il ne s’était rien passé pendant le trajet en voiture : aucun geste déplacé ni de parole à double sens. Mais Darren ne fait rien pour détourner les soupçons grandissant sur son professeur, pourtant très compétent et qu’il admire, que toute la communauté transforme peu à peu en bouc émissaire. Sans doute différent, Mr Tracy ne supporte pas cette suspicion généralisée, il meurt dans un accident de voiture qui se révèle un probable suicide. Comme dans Viol, que j’ai déjà chroniqué, Joyce Carol Oates décrit l’atmosphère provinciale empesée et normative des adolescents et du reste de la population, où l’homophobie et la haine de la différence finissent par créer des ravages. On notera le rôle déplorable de la police, plus encline à fabriquer des coupables qu’à chercher la vérité. Le jeune héros devra sortir de sa passivité pour regagner l’estime de lui-même. Un fort beau roman.



Avec Le geste du semeur, nous sommes au début en 1939. Lubo Reinhardt est yéniche (tzigane), arrivé avec sa famille en Suisse où il croit avoir trouvé un havre de paix. Mais il doit accomplir son service militaire, alors qu’il déjà marié et père de deux enfants. Un jour, son frère vient trouver Lubo à la caserne et lui annonce un drame : Mirana, sa femme, a été assassinée par la police, en s’opposant au kidnapping de ses deux enfants, qui ont été pris par une organisation s’occupant de séparer les enfants yéniches de leurs parents et de les placer en famille d’accueil, pour qu’ils y reçoivent une éducation normée : Kinder der Landstrasse liée à Pro Juventute (créée en 1926 pour éradiquer le mode de vie nomade des Yéniches). Il s’enfuit de la caserne, et élabore un plan de vengeance implacable, que je ne dévoilerai pas. Sachez tout de même que la sexualité y joue un grand rôle. Le Geste du semeur de l’Italien Mario Cavatore repose sur la chasse aux tsiganes que les Suisses, comme les nazis, mais sous une autre forme, ont pratiquée. Des milliers d’enfants n’ont jamais revu leurs parents et ont été séparés de leurs frères et sœurs. Là encore, la pédophilie très fortement cachée dans la société bourgeoise de haut rang, est dévoilée par notre héros et c’est un commissaire de police qui met fin à l’affaire. Un thriller haletant, à plusieurs voix dans la narration.

 

 

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