jeudi 17 septembre 2020

17 septembre 2020 : un jeune homme en EHPAD

 

On ne lit bien que ce qu’on aime.

(Marc Roger, Grégoire et le vieux libraire, A. Michel, 2017)



Je connaissais Marc Roger, l’infatigable lecteur (et marcheur, voir ses autres livres sur le site CL), mais là je dois dire qu’il m’a bluffé. Il crée ici le personnage de Grégoire, un garçon frustre et qui a loupé ses études, engagé dans un EHPAD comme aide-cuisinier et qui rencontre un vieux résident, M. Picquier, ancien libraire ; ce dernier a meublé sa chambre des 3000 livres qu’il a pu préserver. Malheureusement, il est affligé de la maladie de Parkinson (et d’une baisse terrible de la vue), ne peut plus lire. Peu à peu, les deux vont s’apprivoiser et le vieux libraire demande au jeune homme de lui faire la lecture, en lui enseignant peu à peu l'art subtil de lire à haute voix : "Tu sélectionnes les textes drôles ou sérieux que tu souhaites partager, et peu à peu, s’élabore une toile au centre de laquelle tu peux te promener comme bon te semble".


Grégoire, dix-huit ans, abasourdi et qui n’aimait pas lire (croyait-il), orphelin de père, vit avec sa mère, couturière à domicile. Il va se révéler un lecteur hors pair ; le libraire lui fait lire, pour commencer, L’attrape-cœur, qui fait mouche : Grégoire fait la découverte de la lecture et de la joie de lire. La directrice lui accorde d’abord une heure, bientôt les deux voisines de M. Picquier demandent à assister aux lectures. Pour les appâter, il propose à Grégoire des nouvelles de Maupassant. Grégoire fait des jaloux parmi le personnel. On se moque de lui, le mignon du libraire dont tout, le monde sait qu’il est gay. "Bon, ici, j’en connais, quand tu vois le niveau de leurs enfants, tu te dis que t’as bien fait d’être pédé". Petit à petit, ses heures de lecture vont s'élargir.

Pas facile de se lier avec un vieux monsieur dans une maison de retraite. M. Picquier va jusqu'à lui demander de faire sa toilette ! Grégoire apprend l’amitié avec le goût de la lecture : ça change la vie du jeune homme et rend le courage de vivre ses derniers mois au vieil homme. Parallèlement, il fait connaissance d’une infirmière le la maison, Dialika, sénégalaise, dont il tombe amoureux. Elle lui révèle l’amour physique et ne manque pas de lui dire sa pensée au sujet de nos maisons de retraite ; "Dialika m’avoue être choquée par le sort qui nous est réservé quand on ne sert plus à rien dans notre société soi-disant avancée. Cette façon que nous avons de réunir nos anciens hors la vie du village, du quartier où se trouvent leurs attaches matérielles et humaines, de les parquer hors sol comme nous faisons, et surtout notre façon d’exploiter la fin de vie en créant des services comme on gère des produits".

Devenu un "mordu de la lecture", il va pouvoir accompagner les résidents, la lecture à haute voix valant bien des antidépresseurs (selon le propre médecin de l'EHPAD)… Une histoire très simple (on pense parfois à La tête en friche, mais les deux romans gardent leur originalité), dans laquelle tout lecteur va se reconnaître, pour peu qu’il ou elle aime partager ses lectures.

Merveilleux ! Un excellent livre qui fait du bien, en parlant des personnes âgées, ces personnes telle ment oubliées dans notre société, sans condescendance et avec un grand réalisme, mais avec tact. Le jeune homme devient adulte. La marche n’est pas oubliée et il va accomplir le vœu terminal de M. Picquier, aller faire une lecture à Aliénor d'Aquitaine dans l'abbaye de Fontevraud : "Dès que tu marches, tu n’es plus un vivant ordinaire. Tu deviens le curseur de ta vie dans l’espace et le temps. Sans en être conscient, tu accèdes au présent le plus pur en n’ayant pour passé qu’horizon qui s’éloigne, pour futur qu’horizon qui s’approche, un présent absolu dans l’alliance illusoire de l’esprit et du corps".


Et je n’ai pas pu m’empêcher de penser à mes vieux amis en EHPAD ou même chez eux, esseulés et désespérés d’être encore plus confinés. Nouvelles consignes : deux visites seulement par semaine ! Alors qu’ils ont tant besoin du secours de l’amitié, du partage solidaire, de la joie qui vient de l’extérieur… Ils ou elles en arrivent à me dire que ce n’est pas le covid qui va les tuer, mais la solitude et l’isolement.

 

 

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