Nous ne pouvons rien pour les autres, si ce n’est de les respecter, les encourager à être eux-mêmes.
(Serge Rezvani, Ultime amour, Les Belles lettres, 2012)
Depuis
quelques jours, je revis. Je fais de 10 à 20 km par jour à vélo,
je vais voir des films, malgré le confinement exagéré d’être
obligé de garder le masque même pendant la projection depuis
mercredi dernier, et ça ne m’empêche pas, au hasard de mes promenades, de parler avec l’un(e),
avec l’autre, de visiter mes reclus en EHPAD ou chez eux, de
pratiquer l’amitié avec des demandeurs d’asile, un couple de
Bangladais… J’avoue même que je suis prêt à me lancer dans une
grève de la faim si leur demande est déboutée, et de la
médiatiser. Qu’est-ce que je risque ? Si je meurs, ce sera en
toute connaissance de cause, et j’aurais exprimé une dernière
fois l’humanité qui est en moi. J’aurai fait mon devoir d’homme,
quand tant d’autres (parmi lesquels les juges et les législateurs)
ne font que marteler leur inhumanité inexorable.
Tiens,
à propos d’humanité, je viens de voir quatre films qui entrent
dans cette catégorie de "films
à visage humain".
Tous quatre parlent du monde d’aujourd’hui, même si deux d’entre
eux se passent dans un futur apocalyptique.
Le français Poissonsexe. Dans un proche avenir, il ne reste plus de poissons. Daniel, la cinquantaine, qui travaille dans un labo scientifique, recueille et adopte un jour un étrange poisson muni de pattes : Lucie, la serveuse du café où il prend ses petits déjeuners, le surnomme Nietzsche (elle trouve qu’il a le regard de Nietzsche, en photo sur la couverture de son Ainsi parlait Zarathoustra). Au labo, placés dans un aquarium sous haute surveillance des scientifiques, on attend avec impatience la copulation d’un couple de petits poissons. Mais Daniel n’est pas heureux. Comme Papageno (La flûte enchantée), il voudrait bien rencontrer une petite femme. Le monde est devenu inhumain. Il est question de fabriquer des bébés sans copulation, l’amour, le sentiment, n'étant pas des critères scientifiques. Même le couple de poissons n’y arrive pas. Comment retrouver un brin d’humanité ? Je vous laisse voir le film, illuminé par le couple des deux principaux acteurs, Gustave Kervern (oui, le cinéaste de Effacer l’historique) et l’épatante India Hair (déjà vue dans Crash test Aglae).
L’américain Light of my life : il relève aussi d’une apocalypse, ou du moins d’une partie de l’humanité. Une sorte de peste a rayé de la carte toutes les femmes. Sauf Rag, onze ans, immunisée et déguisée en garçon, campe en une connivence fusionnelle avec son père dans la forêt, par peur des mauvaises rencontres, pour elle. Mais son paternel est trop protecteur (c'est elle, la lumière de sa vie), et elle rêve sans doute de plus de liberté et, qui sait, de lui rendre la pareille, de le protéger à son tour. Ça se passe dans les Montagnes Rocheuses et ses immenses forêts pluvieuses et neigeuses. Dans un monde devenu impitoyable, des reste d’humanité subsistent, malgré les menaces diffuses. Comment survivre dans un tel monde ? En faisant preuve d’humanité.
Le
mongol La
femme des steppes, le flic et l’œuf.
Une
œuvre étonnante, très belle, magnifiée par les paysages et les
ciels de ce pays étrange, où la vie des éleveurs est encore
rythmée par les éléments, le vent, le désert, le froid, le soleil. Voici donc une voiture de police, car on
a découvert dans la steppe le cadavre d’une femme, absolument
dénudée. Mais la voiture ne peut pas transporter le corps jusqu’à
Oulan Bator, la capitale, et un flic doit veiller le corps du délit (pour éviter qu'il soit dévoré par les loups)
pendant que les autres retournent en ville pour revenir le lendemain
avec un véhicule mieux équipée et du personnel scientifique pour
démêler l’affaire. Au passage, ils demandent à une bergère à
dos de chameau de veiller sur le jeune policier qui reste, de
le
nourrir si possible. Et voilà le début d’une nuit marquante, au coin
d’un feu qui symbolise la vie dans ce désert glacial, entre la
femme des steppes et le jeune homme de dix-huit ans qui, en réponse à sa question, lui avoue
ingénument qu’il n’a jamais connu de femme. Et c’est le début
d’une rencontre éphémère et inoubliable, humaine en diable.
Quant à l’œuf du titre… Voyez le film, il est très beau.
L’italien Citoyens du monde : là, c’est le vieillissement qui nous rappelle à l’ordre. Que faire quand on est vieux et retraité, avec de petits revenus, pour vivre encore avec humanité ? Le Professeur se raccroche à ses livres et à son latin, Giorgetto a glandé toute sa vie et en est réduit aux minima sociaux et à taxer l'une ou l'autre de ses connaissances. Ils rêvent tous deux de partir dans un pays exotique où la vie ne coûte rien, croient-ils. Ils vont embringuer dans cette quête un troisième larron. Ils y croiront ferme. Mais pourront-ils aller au bout de leur projet ? Voyez le film, c’est le grand retour de la comédie italienne d’antan, riche d’humanité. Les acteurs sont épatants. Ils m'ont fait oublier mon absence à la Mostra de Venise !
C'est ça aussi, le cinéma (comme la littérature), donner du sens humain à la vie.
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