Et je vous regarde et je vous dévêts au milieu de vos mensonges et de vos lâchetés,
Larbins, fiers petits hypocrites, filant doux
Esclaves et fils d’esclaves
Et vous n’avez plus la force de protester, de vous indigner, de gémir,
Condamnés à vivre en tête-à-tête avec la stupidité empuantie sans autre chose qui vous tienne chaud au sang que de regarder ciller jusqu’à mi-verre votre rhum antillais…
Âmes de morues.
(Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, Présence africaine, 1956
Dans
les situations difficiles, il faut toujours lire, lire en général
et lire en particulier les penseurs, les poètes et les écrivains,
ceux qui ont la révolte et
la résistance
chevillées au cœur : Victor Hugo, Aimé Césaire, Ivan Illich,
Georges Bernanos, Jacques Ellul, par exemple. Or, la situation
actuelle l’exige.
Karak
Le "monde d’après" qu’on nous promet ressemble terriblement au monde d’avant. À peine le confinement a-t-il été desserré qu’on a revu aussitôt les rues et les boulevards encombrés de véhicules motorisés de toutes sortes, empuantissant l’air de nos villes, les rendant de nouveau bruyantes, dangereuses, les humains oubliant à nouveau qu’il y a aussi des bipèdes. Et ne parlons pas de la précipitation à partir s’entasser vers les plages, à vouloir reprendre l’avion, à sortir muni des précieux écouteurs dans l’oreille et de l’indispensable ordiphone à la main.
Ceux qui aspirent toujours à une vie libre ne peuvent rien contre la technique totalitaire qui a envahi la planète et qui la ravage ; ils sont condamnés à être contre leur temps, car vouloir vivre différemment, c’est refuser le mimétisme conformiste de l’époque. Refuser le monde d’avant, c’est vouloir entrer dans la sobriété heureuse des décroissants, c’est refuser l’abus des appareils électriques toujours plus nombreux, alors qu’il faudrait diminuer la consommation électrique. C’est voyager moins loin mais mieux, c’est être dans la partage et la fraternité.
J’ai remarqué par exemple, en voulant acheter une nouvelle boîte de filtres à café au supermarché qu’il y en avait très peu sur les présentoirs (j’ai passé cinq minutes à les trouver), comme pour nous pousser à acheter une machine à café et les accessoires qui vont avec qui, eux, occupent des rangées d’étagères. Pourquoi faire, grand Dieu ? Les cafetières ordinaires, manuelles et électriques, sont-elles condamnées ? Et on invente sans cesse de nouvelles machines, qui créent de nouveaux besoins, dont la plupart sont inutiles.
Désormais, on voit les fanatiques de l’ordiphone (smartphones, iphones) se promener sans vergogne avec leur outil à la main et les écouteurs à l’oreille, comme si leur vie en dépendait, et se comporter comme des zombies. Ils ne savent plus ce qu’est la civilité, dire bonjour ou sourire, leur œil est rivé sur leur main. À table, ils ont ce nouvel attirail en plus de leur couteau et de leur fourchette, et ne cessent d’y jeter un œil, des fois qu’une info leur échapperait. À croire qu’ils dorment avec, qu’ils le tiennent toujours a portée de l’ouïe et de leur main. Certains poussent le fanatisme jusqu’à en avoir deux, un dans chaque main !
Et ce sont eux qui critiquent le fanatisme religieux et les addictions à l’alcool, au tabac et aux diverses drogues. Au cinéma, dès la fin du film, on voit leur main se dépêcher de récupérer leur drogue à eux. Quand ils ne gênent pas leur voisin pendant le film ! Il n’y a que les incivilités des autres qui les froissent ou les indisposent : masques et mégots jetés sur les trottoirs par exemple, déchets jetés hors des poubelles, sans se demander si elles sont trop peu nombreuses et souvent pleines.
Bref, c’est un engin dont je ne suis pas près de me munir. Je sais que, comme tout un chacun, je deviendrai dépendant de cette machine (ex. : combien de jeunes savent encore lire les cartes, ils sont accrocs et même esclaves du fameux GPS, sans savoir qu'ils le sont) si par malheur j'en avais un ! Et le jour arrivera bien assez tôt où je risque de devenir dépendant : mais quitte à l’être, je préfère que ce soit d’une personne humaine plutôt que d’une machine !
Et je vieillis (photo Céline Cloup)
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