lundi 10 février 2020

10 février 2020 : résister, le poème du mois


Lettre du 28 mai 1967 : Rumine ça un instant : colonisateur, usurier, foncièrement voleur, assassin par intérêt, kidnappeur esclavagiste, fabricant de canons, de bombes et de gaz toxiques, parasite égocentrique, langue fourchue, cet homme étrange tente de nous faire croire que c'est nous qui devons nous adapter à ses valeurs, que nous devons apprendre à lui ressembler davantage ; et que si nous ne le faisons pas, nous sommes des arriérés, des sous-développés, des rustres…
(George Jackson, Les Frères de Soledad, trad. Catherine Roux, Gallimard, 1971)


Au moment où les violences policières, n’en déplaise aux médias et aux ministres aux ordres, font de notre pays (et en particulier de Bordeaux le 8 février dernier) un sol de barbarie, je pense à nos amis palestiniens de Gaza et des territoires occupés, encore plus que nous réprimés, bastonnés, martyrisés, assassinés et dans le meilleur des cas asservis, et j’ai choisi ce poème écrit là-bas par un poète druze chrétien de Palestine. Avec le patronage de George Jackson, autre martyr de la liberté et de la résistance.


Je résisterai
Je perdrai peut-être – si tu le désires – ma subsistance
Je vendrai peut-être mes habits et mon matelas
Je travaillerai peut-être à la carrière comme portefaix, balayeur des rues
Je chercherai peut-être dans le crottin des grains
Je resterai peut-être nu et affamé
Mais je ne marchanderai pas
O ennemi du soleil
Et jusqu’à la dernière pulsation de mes veines
Je résisterai
Tu me dépouilleras peut-être du dernier pouce de ma terre
Tu jetteras peut-être ma jeunesse en prison
Tu pilleras peut-être l’héritage de mes ancêtres.
Tu brûleras peut-être mes poèmes et mes livres
Tu jetteras peut-être mon corps aux chiens
Tu dresseras peut-être sur notre village l’épouvantail de la terreur
Mais je ne marchanderai pas
O ennemi du soleil
Et jusqu’à la dernière pulsation de mes veines
Je résisterai
Tu éteindras peut-être toute lumière dans ma vie
Tu me priveras peut-être de toute tendresse de ma mère
Tu falsifieras peut-être mon histoire
Tu mettras peut-être des masques pour tromper mes amis
Tu élèveras peut-être autour de moi des murs et des murs
Tu me crucifieras peut-être un jour devant des spectacles indignes
O ennemi du soleil
Je jure que je ne marchanderai pas
Et jusqu’à la dernière pulsation de mes veines
Je résisterai


Samih al-Qasim (1939-2014)




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