lundi 26 août 2019

26 août 2019 : le FIFIG de Groix...


« Un après-midi, elle m’a demandé d’oublier le roman et de lui lire les recettes d’un livre de cuisine que lui avait prêté une infirmière. Cela me plaisait, à elle aussi. Et des recettes, nous en sommes venus aux poèmes, qui sont très semblables.
Semblables, en quoi ?
Disons que ce sont des recettes de vie, et même si nous n’aimons pas le plat dont il est question, nous admirons la manière de faire. Tout le plaisir de la poésie tient à ça. »
(Fabio Morabitó, Le lecteur à domicile, trad. Marianne Millon, Corti, 2019)

lever de soleil, de ma chambre d'hôtel

Je ne sais pas à quoi tient mon goût pour les îles : sans doute à mon adolescence et à mes lectures entre douze et vingt ans (Jules Verne, Stevenson, Melville), à mes rencontres aussi : Alain P., mon ami d’adolescence avec qui nous avions inventé et dessiné une île imaginaire (la nôtre) où il nous arrivait tout un tas d’aventures qui nous permettaient d’oublier la prison qu’était l’internat, par la suite l'écrivain Michel Tournier, que je fis venir dans le Gers à la fin 1977 et avec qui j’ai longuement parlé du mythe de Robinson, puis Claire aussi qui me poussa à postuler pour la Guadeloupe pour un séjour de trois ans, pendant lequel je visitai toutes les îles de l’archipel ainsi que la Martinique. Par la suite, nous passâmes maintes vacances dans les îles atlantiques : Ré, Oléron, Noirmoutier, et fîmes de brefs séjours d’une semaine à Majorque, en Sicile, à Malte, en Crète, à Madère. Par la suite, mes pérégrinations en cargo me firent poser le pied en Jamaïque, à Tahiti et en Nouvelle-Calédonie.

la Médiathèque de Groix
 
Mais je ne connaissais pas l’île de Groix, en face de Lorient : cette fois, c’est mon goût pour les festivals de cinéma qui m’a entraîné là, à l’instigation de l’amie Christine M. qui m’y a rejoint en fin de semaine. J’ai donc passé cinq jours à Groix, sous une chaleur épaisse qui m’a empêché de me balader partout, car je suis encore affaibli par mon AIT ; en particulier, je n’ai pas loué de bicyclette qui eût pourtant été très utile pour monter les côtes nombreuses, je me suis contenté de marcher à pied et ai donc limité mes déplacements. L’île est rocheuse, les côtes sont très accidentées, et j’ai vu beaucoup de cyclistes pousser leurs vélos dans les montées, courtes mais rudes. Aussi la location de vélos électriques y fait fureur, mais on connaît ma philosophie, très peu pour moi ! Mais j’ai bien aimé ce que j’ai vu, les maisons, la médiathèque, les sentiers côtiers bordés de ronces à mûres dont je me suis régalé.


Et le FIFIG (Festival du Film Insulaire de Groix) fut encore plus passionnant que prévu. La plupart des films présentés sont des documentaires. Il y avait "les îles chiliennes" comme thème, ce qui m’a permis de voir d’excellents films sur les îles de Chiloé, de Pâques ou de Robinson Crusoé. J’ai été frappé de voir ces films chiliens très critiques non seulement sur la période Pinochet (qui ne l’est pas, à part peut-être nos amis américains ?), mais plus généralement sur la manière coloniale dont les divers gouvernements chiliens ont mis les populations autochtones au pas, quand elles n'ont pas autorisé leurs massacres, de manière systématique (il y eut des "chasseurs d’hommes") ou à petit feu en les spoliant de leurs terres, les mettant au travail forcé ou leur imposant la religion, les désolidarisant par l’éducation publique de leurs langues et de leurs traditions. Bref, il y avait là largement de quoi devenir anticolonialiste si on ne l’était pas encore…

La liberté, de Guillaume Massart, a obtenu le grand prix, l'île d'or

Mais les films en compétition provenaient de différents pays, parlaient de la pêche en Irlande, en Sicile ou au Japon, des migrants échoués en Grèce, des travailleurs chinois au Japon, d’une prison ouverte en Corse (La liberté, qui a obtenu l'île d'or), de grévistes en Patagonie, de la répression coloniale de 1947 à Madagascar et de 1988 en Nouvelle-Calédonie, du souhait de récupérer le patrimoine volé et disséminé dans les grands musées du monde, de la difficulté de mener sa vie pour sortir de la misère et de l’injustice un peu partout… Bref, il y avait de quoi réfléchir sur notre devenir, sur notre monde dont les dirigeants pérorent à Biarritz sur les bienfaits du modernisme économique en oubliant l’impact écologique, l’horreur touristique ou la tragédie des traditions en train de se perdre.

Caroline Zeau anima le débat : j'ai acheté son livre, étude critique du film

Un film du patrimoine québécois justement brassait beaucoup de ces thèmes, avec un humour féroce et vengeur. Pour la suite du monde, de Michel Brault et Pierre Perrault que j’avais vu quand j’étais étudiant sans en mesurer la portée, est une de ces pépites qui nous réconcilieraient avec le cinéma, s’il en était besoin, et qui nous consolent de toutes ces comédies bêtasses et de tous ces blockbusters abrutissants qui inondent nos multiplexes. Ça se passe dans l’Île aux Couldres (estuaire du Saint-Laurent) en 1962, où on tente de relancer la pêche aux marsouins abandonnée depuis 1924. C’est du cinéma direct, mais rien à voir avec la téléréalité fabriquée et souvent odieuse d’aujourd’hui. J’ai passé un grand moment avec ce film visible sur internet : https://www.onf.ca/film/pour_la_suite_du_monde/ où je ne manquerai de le revoir. Personnages hauts en couleur (bien que le film soit en noir et blanc) et traditions locales, y compris religieuses (je vous laisse découvrir la mi-carême et l’eau de Pâques) s’entremêlent harmonieusement. Un film tout bonnement extraordinaire. Ça sert aussi à ça, les festivals, à faire des redécouvertes !

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