L’ordre
est une vertu morne et sombre.
(Michel
de Montaigne, Petit recueil de pensées, Chêne, 2015)
"À
chaque mobilisation sociale, à chaque conflit militaire, à chaque
élection, le constat ne varie pas : les médias sont des médias
de parti pris. Avec des nuances quand ce sont des médias de masse.
Sans nuances – et cela peut se comprendre – quand ce sont des
médias d’opinion. Le même processus,
« information-mobilisation-culpabilisation », est ajusté
à la nature de ce qu’il faut combattre ou qu’il faut soutenir.
Pour un mouvement social : annonce d’un mesure libérale
(bienvenue) ; mobilisation des chefferies éditoriales pour son
soutien ; culpabilisation des opposants. Pour une intervention
militaire (occidentale) : divulgation de l’infamie d’un
régime ; mobilisation médiatique pour un pilonnage ciblé
(cela va sans dire) ; culpabilisation des pacifistes et des
sceptiques. Pour une élection (ou un référendum) :
présentation des candidats et de leurs programmes ;
mobilisation massive en faveur (ou en défaveur) d’un ou de
plusieurs candidats ; culpabilisation des électeurs(et des
candidats) déviants".
Voilà,
je crois que tout est dit dans cet excellent livre qui va
paraître, mais que j'ai eu avant-première : « Au nom de la démocratie votez bien ! » :
Retour sur le traitement médiatique des élections de 2002 et 2017,
de Mathias Reymond (Agone, 2019).
En
voyant le traitement médiatique de la "crise" des Gilets
jaunes, je n’ai pu m’empêcher de me dire : « Voilà,
c’est exactement ça ! Les médias dans leur ensemble, avec
leur morgue et leur arrogance habituelles, ne comprenant par ailleurs
rien à un mouvement spontané, inhabituel, sans tête d’affiche, qui sort de leur cadre de grille de lecture,
se sont payé la tête
des interviewés, ramenés à leur insignifiance, à leur langage non
adapté ou non conforme, et finalement relégués aux oubliettes,
quand on ne les sommait pas de condamner fermement les violences des
casseurs, alors que ces-mêmes médias ne disaient mot ou
minimisaient les violences policières. » Ça m’avait frappé
lors des actualités en continu que je regardais à l’hôtel de
Marrakech, pendant le Festival. La télévision cherchait bien
évidemment à déconsidérer le mouvement, et les commentateurs et
experts auto-proclamés n’en finissaient pas de pérorer dans leurs délires de
nantis bien incapables de comprendre un malaise populaire non
canalisé. Et, comme en 2017, ils avaient harcelé entre les deux tours
Jean-Luc Mélenchon pour le sommer de clamer Votez Macron (ce
qu’il n’a pas fait, et il lui en a fallu, de la ténacité !),
maintenant ils harcèlent et culpabilisent ceux qui ne condamnent
pas les violences commises pendant les manifestations.
Mais
qu’ils commencent donc à condamner les violences policières sur
lesquelles leur silence est assourdissant ! Ce qu’ils se
gardent bien de faire. Et on voit défiler à tour de bras les ministres
qui se congratulent du rôle positif joué par la police et la
gendarmerie (sûr qu’éborgner des individus pacifiques et des
passants, les handicaper à vie en les privant d’une main, leur
balancer des canons à eau en plein hiver – alors même que l’eau
est une matière précieuse dont on va bientôt manquer, comme on
en manque déjà dans bien des pays –, les asperger de gaz lacrymogènes et de
grenades, c’est considéré comme positif par les gardiens de
l’ordre) sur toutes les radios, les télévisions où leurs tweets
sont clamés à tous les carrefours… Et ils s’étonnent qu’on
les appelle les "merdias", que la majorité de la
population n’ait plus envie de les lire, de les croire ou de les regarder, que les Gilets jaunes les
conspuent et manifestent parfois avec violence la colère qu’ils
leur inspirent, et qu’on soit désormais obligés de chercher
d’autres sources d’information, sur les réseaux sociaux et les
sites internet indépendants.
Le
livre de Mathias Reymond montre bien la manière dont les médias ont
orchestré la dramaturgie électorale entre les deux tours en 2002 et 2017 comme ils
orchestrent en ce moment la dramaturgie sociale. Je lui souhaite un
franc succès. Il m’a fait prendre conscience que moi-même j’ai
été pris au piège de leur conspiration en faveur du vote Macron
(voir mon post du 3 mai 2017, où je me suis efforcé de trouver des
tas de raisons de ne pas voter blanc ou de m’abstenir, ce qui était pourtant
ma première idée. La lecture du livre m’a montré que j’ai
subi le matraquage idéologique des médias sans m’en rendre
compte).
C’est
décidé, je ne voterai plus que "pour", finis les
votes"contre". Tant pis. Le système où au premier tour,
on choisit, au deuxième, on élimine, je n’en veux plus, puisque
jusqu’à présent, mes choix du premier tour n’ont jamais été
suivis ; je suis un grand minoritaire, c’est certain. Et je
comprends ceux qui n’ont jamais voté. À quoi bon, quand nos
candidats ne franchissent jamais le cap du premier tour, et qu’au
deuxième on a envie d’éliminer les deux restant ?
Je
suis un vieux croûton, c’est vrai, mais au moins je ne suis pas
devenu un vieux réac, comme tous ces soixante-huitards que j’ai
croisés ces dix dernières année et qui allaient manifester en 2012
et 13 contre le mariage pour tous, et ces jours-ci avec les foulards
rouges en se gaussant de "Jérôme
Rodrigues, le révolutionnaire qui pleurniche quand il a un truc dans
l’œil. Bien fait pour [s]a gueule"…
Je ne suis décidément pas du Parti de l’Ordre (historiquement, ce dernier a
enterré la Révolution de 1848), l’ordre en question n’étant
que le masque du désordre établi par les possédants, comme chacun
sait !
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