Cela
ne sert à rien d'avoir des illusions pour découvrir un jour que,
quoiqu'il s'imagine, l'homme est seul dans la vie.
(Georges
Simenon, Crime
impuni,
Presses de la cité, 1954)
Le
cinéma indien est d'une grande richesse. On connaît Bollywood et
ses films à grand spectacle, nourris de chansons et de danse. Mais
il y a aussi tout un cinéma plus réaliste, qui s'efforce de décrire
ou d'analyser les conditions de vie dans ce pays, en passe de devenir
le plus peuplé du monde, et encore largement tributaire de son passé
historique et colonial. La vie des femmes y est en particulier peu
enviable en général : infanticides nombreux d'enfants de sexe
féminin, problème de la dot et des mariages arrangés, supériorité
affichée de l'homme et absence d'égalité, conflit permanent entre tradition
et modernité.
Pan
Nalin nous propose avec Déesses indiennes en colère un film choral dans lequel les femmes ont le rôle
principal et tentent de proclamer le droit à la dignité. Sept
amies, qui se sont connues à l'université, sont réunies à Goa, en
bord la mer, invitées pour le mariage de l’une d’elles. Toutes
cultivées et de famille aisée (elles parlent anglais entre elles),
certaines travaillent : il y a une chanteuse qui n'arrive pas à
percer, une Anglo-Indienne qui tente de percer à Bollywood, une
directrice d'usine débordée (qui a emmené sa petite fille, qui servira de révélateur), une photographe-artiste, une militante pour les
droits des travailleurs, mais toutes doivent se battre durement dans
un monde dominé par les hommes et qui accorde parcimonieusement
liberté et indépendance. Réunies entre femmes, loin du regard
masculin et du patriarcat habituel, elles peuvent enfin parler
librement, y compris de sexe, d'homosexualité, de divorce, mais
aussi bien redeviennent momentanément des adolescentes parlant de
choses superficielles, voire se disputant pour des riens comme dans
la vie. On se rend compte rapidement qu'elles ne peuvent vraiment
exister qu'en tant que filles (le mariage de l'héroïne ne lui
convenant pas, son père n'y assistera pas), mères ou épouses, ou
alors domestiques. Il faudra un événement tragique, qui mettra en pleine lumière le poids
épouvantable des mâles (violeurs aussi bien que policiers enquêtant
sur le viol), pour qu'elles se révèlent à elles-mêmes et se
transforment en déesses en colère, à l'instar de Kali, la déesse
de la vengeance.
Belles
images, toujours en mouvement (ce qui m'a agacé au début, moi qui
aime les plans longs et fixes), dialogues qui semblent improvisés et
nous font passer de la confession à la déconnade, musique agréable
comme dans tout film indien. La dernière scène, que je ne raconterai
pas, est magnifique. Et je suis sorti enthousiasmé de voir enfin que
la solidarité de combat peut faire avancer les choses, pour
s'opposer au sexisme et à la misogynie ordinaires. Ce film est une belle
surprise pour ceux et celles (j'ai remarqué qu'il y avait peu
d'hommes dans la salle) qui veulent sortir du cinéma routinier,
souvent insipide, et regarder la réalité en face : oui, il y a
beaucoup à faire pour faire évoluer notre monde. Et je ne suis pas
sûr que nous, Européens, avec notre machisme dévastateur, ayons
des leçons à donner aux Indiens !
Après
le rural La
saison des femmes,
que j'avais vu en avril dernier (cf ma chronique du 28 avril, femmes,
femmes, femmes...), et dans un style tout différent, le cinéma
indien nous offre un nouveau joyau féministe ! Un pavé dans la
mare macho !
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