Des
touristes tous, ou presque tous, et plus pressés de faire cliqueter
leurs appareils photo que d'utiliser leurs propres yeux pour voir.
L'homme ne croit pas en avoir surpris qui levaient un regard attentif
sur Notre-Dame.
(Mohammed
Dib, L'heureux
Fuseux,
in La
nuit sauvage,
Albin Michel, 1995)
Nous
sommes passés dans un univers complètement technologique. Certains
sont devenus des "geeks",
absolument imbus d'informatique, d'internet, de jeux vidéo, de
communication immédiate, pressés de devenir l'homme "augmenté"
que la technologie contemporaine nous promet : "les
nouvelles technologies ont colonisé nos vies. Elles recomposent le
monde selon leur propre logique, bouleversent notre rapport à tout
ce qui nous entoure, aux autres et à nous-mêmes. Elles ont détruit
en quelques années ce qui avait mis des siècles à se constituer"
(Cédric Biagini, Résister
au grand maelström numérique, in La
décroissance, novembre 2015) :
c'est-à-dire le tissu social, les liens familiaux, et même l'amitié
et l'amour (comment encore parler d'amour quand on voit deux jeunes
connectés en permanence à leur petite main supplémentaire qu'est
devenu le smartphone ?). Car beaucoup
perdent la vie intérieure, la spiritualité, l'aspiration à autre
chose qu'au simple matérialisme technique ou technologique. C'est à
mon avis une des raisons du djihadisme. Ces jeunes gens (on
remarquera qu'il n'y a pas de vieux parmi eux, même si on subodore
que derrière les jeunes, il y a des "vieux"
qui les télécommandent) souhaitent mourir en martyr, car le martyre
(les journaux confondent sans arrêt les deux termes) semble devoir
donner un sens à leur vie hyper technologicisée et si pauvre spirituellement. Car une chose est sûre : la
technologie ne donne aucun sens à la vie (lire les livres de Jacques
Ellul, que j'ai connu à Bordeaux quand j'étais étudiant, et qui
prédisait les ravages modernes de la technologie contemporaine dans
Le
bluff
technologique
en 1988).
Même
les bibliothèques s'y sont mises. Dès 1988, mon amie et condisciple
Monique R. nous mettait en garde contre les bibliothécaires
"presse-bouton" que nous étions en train de devenir. Là
encore, La
décroissance nous
signale dans son dernier numéro "le
cas des bibliothèques. Contrairement à ce que l'on aurait pu
penser, elles se trouvent aux avant-postes de la numérisation – la
dématérialisation de leurs fonds a commencé depuis longtemps. Ces
institutions sont parmi les plus ouvertes à toutes les formes
d'innovation, et s'éloignent de leur fonction première : celle
d'être des lieux d'érudition et d'accès à la culture livresque,
savante, jugée aujourd'hui trop élitiste et éloignée des usages
des citoyens. Du coup, en mettant en place des ateliers
informatiques, des tournois de jeux vidéo, en prêtant des
tablettes, en accueillant des fab-labs, en réduisant la place des
livres, les bibliothèques préparent leurs usagers à ce qu'ils
n'aient plus besoin de bibliothèque !"
En tout cas, elles sont en train d'habituer les nouvelles générations à ne plus ouvrir un
livre !!!
Quant
au lien social, parlons-en ! Toujours dans ce même numéro de
La décroissance, je lis : "pour
un archaïque qui utilise encore sa voix pour dire "bonjour,
comment ça va, il fait froid aujourd'hui, tu veux venir boire un
verre un de ces quatre", cela semblera peut-être incroyable, et
pourtant ça existe : il y a désormais des sites et des applications
smartphone pour rencontrer celui qui habite à côté de chez soi,
comme sharevoisins.fr ou ma-residence.fr"
(Raoul
Anvelaut, Les
thuyas,
in La
décroissance,
novembre 2015). J'y ai jeté un œil, car rien de ce qui est humain
ne m'est étranger. C'est dramatique : au lieu de parler
vraiment aux voisins, on a désormais besoin d'un outil de rencontre,
comme les demandeurs d'amour passent par "meetic"
et autres sites. Comment veut-on que nos jeunes gamins, habitués dès avant
l'école maternelle à la télévision, aux jeux vidéos et
mini-tablettes, ne finissent pas par sombrer dans une sorte d'autisme : on ne
leur parle plus, on ne leur lit plus de livres, et on s'étonne que
leur vocabulaire soit limité, alors que tous ces outils
technologiques sont des média froids et non affectifs, qui les rendent
complètement dépendants, et on est surpris de voir qu'après, ils
s'ennuient en classe, sans leurs petits appareils pour "poucette"... Beaucoup sont suffisamment décérébrés pour, certains d'entre eux,
devenir djihadistes à l'adolescence.
LA DÉCROISSANCE : le seul périodique indispensable d'aujourd'hui
(sans pub et totalement indépendant)
Pour
en revenir au lien – qui est ce qui manque le plus aujourd'hui :
qui va encore visiter les "vieux"
? – on est arrivé dans une impasse totale : "Aujourd'hui
chacun reste chez soi, et on fabrique du lien "social"
artificiel. Ce qui nous guette, c'est la maladie mentale,
l'inhumanité, par la perte de relations directes. Tout est fait pour
nous déshumaniser, nous robotiser. On est en pleine servitude
volontaire" (Brig, Faire
de sa vie une œuvre d'art,
in La
décroissance,
novembre
2015). La phrase en exergue de Mohammed Dib, datant des années 90, a
une valeur prémonitoire : j'ai vu cette année les visiteurs de
Venise ne rien regarder de cette ville sublime. Ils regardaient leurs
mains !
Et, pour en revenir au djihadisme, les jeunes "dévoyés" trouvent là-bas un lien social fort, une pratique de la technologie assez poussée (internet, les réseaux sociaux) et l'usage des armes. Je m'étonne beaucoup qu'aucun commentateur n'ait soulevé le problème du commerce des armes. Car enfin, ce ne sont pas eux qui les fabriquent, ces armes si sophistiquées (sauf leurs ceintures d'explosifs destinées à leur assurer le martyre, tout en faisant le maximum de victimes). Qui dit commerce dit trafic. Blanchiment d'argent et autres saloperies. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que ces armes que nous fabriquons à grande échelle, et que nous sommes si fiers de vendre au monde entier (ah ! les journaux du mois dernier qui se gargarisaient de la vente de nos Rafale ! et nos ministres itou !), finiraient un jour par nous retomber sur la gueule. Et voilà : c'est déjà fait. Les djihadistes sont des assassins, oui. Mais les marchands d'armes aussi ! Et les états qui les cautionnent aussi : croit-on vraiment que nos bombardements en Syrie et ailleurs ne tuent aucun innocent ? Et, en nous taisant, nous sommes complices...
Et, pour en revenir au djihadisme, les jeunes "dévoyés" trouvent là-bas un lien social fort, une pratique de la technologie assez poussée (internet, les réseaux sociaux) et l'usage des armes. Je m'étonne beaucoup qu'aucun commentateur n'ait soulevé le problème du commerce des armes. Car enfin, ce ne sont pas eux qui les fabriquent, ces armes si sophistiquées (sauf leurs ceintures d'explosifs destinées à leur assurer le martyre, tout en faisant le maximum de victimes). Qui dit commerce dit trafic. Blanchiment d'argent et autres saloperies. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner que ces armes que nous fabriquons à grande échelle, et que nous sommes si fiers de vendre au monde entier (ah ! les journaux du mois dernier qui se gargarisaient de la vente de nos Rafale ! et nos ministres itou !), finiraient un jour par nous retomber sur la gueule. Et voilà : c'est déjà fait. Les djihadistes sont des assassins, oui. Mais les marchands d'armes aussi ! Et les états qui les cautionnent aussi : croit-on vraiment que nos bombardements en Syrie et ailleurs ne tuent aucun innocent ? Et, en nous taisant, nous sommes complices...
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