mardi 3 novembre 2015

3 novembre 2015 : à cheval, si haut


Les Européens doivent être très feignants car ils ne se déplacent jamais à pied.
(Luis Sepúlveda, Histoires d'ici et d'ailleurs, trad. Bertille Hauberg, Métailié, 2011)


Je ne sais pas si j'en ai beaucoup parlé – ou même simplement un peu – dans mon Journal d'un lecteur (Geste éd., 2009, non encore épuisé, à commander chez votre libraire favori, c'est une pure merveille !), mais j'ai toujours considéré que les animaux sont en général beaucoup plus beaux que les êtres humains, et singulièrement le cheval, dont j'ai pu apercevoir, tout au long de mon périple vélocipédique, de nombreux spécimens. Allant le plus souvent par deux ou davantage, et paissant dans les prairies que je côtoyais, spécialement dans les Charentes. S'ils étaient assez près de la route, je faisais une petite pause, et ils se rapprochaient de la clôture pour me regarder. Quelle beauté dans leur tête, quelle magnificence dans leur port, quelle splendeur dans leur crinière, leur robe ou dans leur queue, quelle fierté dans le regard ! Bref, pendant quelques minutes, tout en me reposant, je leur accordais une attention particulière et me repaissais de leur amitié désintéressée.
Pourtant, le cheval et moi, c'est toute une histoire, aussi singulière que mon escapade de cyclo-lecteur. En juin 1971, dans le tour d'Écosse que je fis avec mes trois condisciples de l'École des bibliothèques (comme les mousquetaires, nous étions quatre), Marie-José, Anne-Marie et Anne, je mis pour la première fois mes pieds sur des patins à glace et mon cul sur un cheval. Si le patinage me parut correspondre assez bien à mon aisance naturelle, il n'en fut pas de même de l'équitation. Dans cette ferme écossaise, où nous nous payâmes une guide pour faire une randonnée à cheval dans les moors, à l'initiative de Marie-José, cavalière émérite (les deux autres filles, comme moi, étaient novices), on nous confia aux soins de chevaux robustes et assez lourds, qui étaient censés convenir très bien à des débutants. Je n'aurais jamais cru qu'on pouvait être si loin du sol, monté sur un cheval. Je ne comprenais rien, par ailleurs, aux explications de notre cicerone, dont l'accent écossais était à couper au couteau. Bref, j'avais peur. Nous partîmes en promenade, censés marcher au pas puis au trot dans les portions plates. On me mit en tête de la troupe, pour que je pusse écouter les instructions de la guide. Mais j'avais mal compris les indications concernant le trot et, quand nous dûmes nous y mettre, je ne sais si j'avais donné un coup trop violent avec les étriers, mais mon cheval s'emballa et partit au galop, laissant les quatre autres cavalières loin derrière. La seule idée qui me vint à l'esprit fut de me pencher sur son encolure et d'enrouler mes bras autour. Au bout d'une course qui me parut interminable (mais sans doute guère plus de deux minutes), le cheval s'arrêta net. Sans mon accolade serrée, j'aurais été précipité à bas et aurais fait un plongeon mémorable dans les bruyères et les ajoncs. Je m'étais juré de ne jamais remonter sur un cheval !
Une monture qui me convient mieux !

En 1993, nous étions partis en vacances de Pâques avec ma belle-mère, récemment veuve, chez les cousins d'Aigues-Mortes. Comme nous passions en Camargue, Claire me dit soudain : « Ce serait bien pour les enfants, une balade à cheval ! » Pourquoi pas ? Et me voilà remontant à cheval pour la deuxième fois de ma vie pour une randonnée d'une heure à travers les marais. Cette fois, on me mit en serre-file à l'arrière, le gardian étant en tête, suivi de Lucile, de Claire et de Mathieu. J'étais extraordinairement crispé là-haut, si haut. Notre troupe allait dans l'eau, et je ne cessais de me dire que j'allais y tomber. Résultat : au lieu de suivre les mouvements du cheval, je tressautais constamment à contre-temps. Tout cependant se passa bien : il est tout à fait vrai qu'une balade sur les étangs de Camargue, à cheval au milieu des marais, c'est autre chose qu'en automobile ; le grand air, le silence, les odeurs aquatiques, jusqu'au parfum très fort de ma monture, je ressentis tout cela assez vivement. Nous débusquions des oiseaux et des petits mammifères. Dans mon état stressé, je ne pouvais songer à les identifier. Mais une fois arrivé, je me rendis compte que j'avais mal aux fesses. Effectivement, celles-ci étaient littéralement pelées et à vif : pendant plusieurs jours, je dus mettre un coussin sur les chaises pour m'asseoir commodément.
Je ne suis jamais remonté à cheval. 

Ce qui ne m'empêche pas d'admirer cet animal. Je viens d'aller voir le bel essai cinématographique d'Alain Cavalier, Le Caravage, consacré au magnifique cheval de Bartabas, le célèbre chorégraphe équestre du cirque Zingaro. Je dois dire que j'ai été fasciné par les rapports entre l'homme et la bête, par cet amour profond qu'il y a entre eux ; j'ignorais qu'un cheval pût à ce point être affectueux. Et je comprends la douleur de leurs propriétaires quand on doit achever les chevaux, s'ils ont réussi à mettre en place, comme Bartabas, une relation d'amitié et de tendresse d'une force si inouïe. On voit donc Le Caravage (quelle bonne idée d'avoir appelé le cheval du nom de ce fameux peintre) dans tous ses états, se faire bichonner, coiffer (on lui tresse le crinière), brosser, caresser, seller, avant d'être entraîné pour participer aux spectacles de son maître et ami. C'est un film très austère, d'autant plus qu'il n'y a pas de commentaires, et on peut s'y ennuyer, car c'est du cinéma sans esbroufe : « regardez », semble nous dire Alain Cavalier ; pas besoin de grands discours, en effet, pour apprécier la beauté, quasiment à l'état pur. Me souvenant de mes malheureuses tentatives, je n'en ai que davantage admiré Bartabas et son cheval.

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