Les
Européens doivent être très feignants car ils ne se déplacent
jamais à pied.
(Luis
Sepúlveda, Histoires d'ici et d'ailleurs,
trad. Bertille Hauberg, Métailié, 2011)
Je
ne sais pas si j'en ai beaucoup parlé – ou même simplement un
peu – dans mon Journal d'un lecteur (Geste éd., 2009, non
encore épuisé, à commander chez votre libraire favori, c'est une
pure merveille !), mais j'ai toujours considéré que les
animaux sont en général beaucoup plus beaux que les êtres humains,
et singulièrement le cheval, dont j'ai pu apercevoir, tout au long
de mon périple vélocipédique, de nombreux spécimens. Allant le
plus souvent par deux ou davantage, et paissant dans les prairies que
je côtoyais, spécialement dans les Charentes. S'ils étaient assez
près de la route, je faisais une petite pause, et ils se
rapprochaient de la clôture pour me regarder. Quelle beauté dans
leur tête, quelle magnificence dans leur port, quelle splendeur dans
leur crinière, leur robe ou dans leur queue, quelle fierté dans le regard !
Bref, pendant quelques minutes, tout en me reposant, je leur
accordais une attention particulière et me repaissais de leur amitié
désintéressée.
Pourtant,
le cheval et moi, c'est toute une histoire, aussi singulière que mon
escapade de cyclo-lecteur. En juin 1971, dans le tour d'Écosse
que je fis avec mes trois condisciples de l'École
des bibliothèques (comme les mousquetaires, nous étions quatre), Marie-José, Anne-Marie et Anne, je mis pour la
première fois mes pieds sur des patins à glace et mon cul sur un
cheval. Si le patinage me parut correspondre assez bien à mon
aisance naturelle, il n'en fut pas de même de l'équitation. Dans
cette ferme écossaise, où nous nous payâmes une guide pour faire
une randonnée à cheval dans les moors, à l'initiative de
Marie-José, cavalière émérite (les deux autres filles, comme moi,
étaient novices), on nous confia aux soins de chevaux robustes et
assez lourds, qui étaient censés convenir très bien à des
débutants. Je n'aurais jamais cru qu'on pouvait être si loin du
sol, monté sur un cheval. Je ne comprenais rien, par ailleurs, aux
explications de notre cicerone, dont l'accent écossais était à
couper au couteau. Bref, j'avais peur. Nous partîmes en promenade,
censés marcher au pas puis au trot dans les portions plates. On me
mit en tête de la troupe, pour que je pusse écouter les
instructions de la guide. Mais j'avais mal compris les indications
concernant le trot et, quand nous dûmes nous y mettre, je ne sais si j'avais
donné un coup trop violent avec les étriers, mais mon cheval
s'emballa et partit au galop, laissant les quatre autres cavalières
loin derrière. La seule idée qui me vint à l'esprit fut de me
pencher sur son encolure et d'enrouler mes bras autour. Au bout d'une
course qui me parut interminable (mais sans doute guère plus de deux
minutes), le cheval s'arrêta net. Sans mon accolade serrée,
j'aurais été précipité à bas et aurais fait un plongeon mémorable
dans les bruyères et les ajoncs. Je m'étais juré de ne jamais
remonter sur un cheval !
Une monture qui me convient mieux !
En
1993, nous étions partis en vacances de Pâques avec ma belle-mère,
récemment veuve, chez les cousins d'Aigues-Mortes. Comme nous
passions en Camargue, Claire me dit soudain : « Ce serait
bien pour les enfants, une balade à cheval ! » Pourquoi
pas ? Et me voilà remontant à cheval pour la deuxième fois de
ma vie pour une randonnée d'une heure à travers les marais. Cette
fois, on me mit en serre-file à l'arrière, le gardian étant en
tête, suivi de Lucile, de Claire et de Mathieu. J'étais
extraordinairement crispé là-haut, si haut. Notre troupe allait dans l'eau, et je
ne cessais de me dire que j'allais y tomber. Résultat : au lieu
de suivre les mouvements du cheval, je tressautais constamment à
contre-temps. Tout cependant se passa bien : il est tout à fait
vrai qu'une balade sur les étangs de Camargue, à cheval au milieu
des marais, c'est autre chose qu'en automobile ; le grand air,
le silence, les odeurs aquatiques, jusqu'au parfum très fort de ma
monture, je ressentis tout cela assez vivement. Nous débusquions des
oiseaux et des petits mammifères. Dans mon état stressé, je ne
pouvais songer à les identifier. Mais une fois arrivé, je me
rendis compte que j'avais mal aux fesses. Effectivement, celles-ci
étaient littéralement pelées et à vif : pendant plusieurs
jours, je dus mettre un coussin sur les chaises pour m'asseoir
commodément.
Je
ne suis jamais remonté à cheval.
Ce qui ne m'empêche pas d'admirer
cet animal. Je viens d'aller voir le bel essai cinématographique d'Alain
Cavalier, Le Caravage, consacré au magnifique cheval de
Bartabas, le célèbre chorégraphe équestre du cirque Zingaro. Je
dois dire que j'ai été fasciné par les rapports entre l'homme et
la bête, par cet amour profond qu'il y a entre eux ; j'ignorais
qu'un cheval pût à ce point être affectueux. Et je comprends la
douleur de leurs propriétaires quand on doit achever les chevaux,
s'ils ont réussi à mettre en place, comme Bartabas, une relation
d'amitié et de tendresse d'une force si inouïe. On voit donc Le
Caravage (quelle bonne idée d'avoir appelé le cheval du nom de ce
fameux peintre) dans tous ses états, se faire bichonner, coiffer (on
lui tresse le crinière), brosser, caresser, seller, avant d'être
entraîné pour participer aux spectacles de son maître et ami.
C'est un film très austère, d'autant plus qu'il n'y a pas de commentaires,
et on peut s'y ennuyer, car c'est du cinéma sans esbroufe :
« regardez », semble nous dire Alain Cavalier ; pas
besoin de grands discours, en effet, pour apprécier la beauté,
quasiment à l'état pur. Me souvenant de mes malheureuses
tentatives, je n'en ai que davantage admiré Bartabas et son cheval.
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