La
vieillesse ne devient médiocre que lorsqu'elle prend des airs de
jeunesse.
(Hermann
Hesse, Éloge de la vieillesse,
trad. Alexandra Cade, Calmann-Lévy, 2000)
Je
vais avoir bientôt soixante-dix ans. C'est-à-dire, selon la
terminologie actuelle du politiquement correct, que je suis encore
« jeune » ! En fait, je serai effectivement un jeune
septuagénaire, par rapport aux « vieux » septuagénaires qui, eux,
approchent des quatre-vingts ans. Je n'ai aucun état d'âme. Je ne
regrette nullement ma jeunesse enfuie, je fais plus de choses qu'à
vingt ans (mais pas les mêmes choses), tout simplement parce que
j'ai acquis beaucoup d'expérience, que j'ai élargi mon univers aux
dimensions du monde entier, que je me suis ouvert aux cultures de
partout et ne me suis pas réfugié dans un repli identitaire
franco-français. Si je regarde mon carnet de lectures de cette
année, je vois que j'ai lu des livres originaires de trente-huit
pays. Mon carnet de cinéma : j'ai vu des films originaires de
quarante-deux pays. J'ai des amis originaires de Colombie, des Philippines, du Maroc,
de Pologne, d'Angleterre, du Canada, de Russie, aussi bien que de France...
De
ce point de vue, je suis plus jeune que jamais. Car ma curiosité me
porte volontiers vers les étrangers (d'où mes voyages) aussi bien
que vers les Français (mes déplacements en France sont nombreux
aussi), vers les jeunes (j'ai des amis de vingt ans) aussi bien que
vers les vieillards (j'ai des amis nonagénaires), vers mes proches
(je m'efforce sans toujours y réussir de voir chaque année tous les membres de
mes deux tribus – les Brèthes et les Mouly, tribu de Claire) aussi
bien que vers les plus éloignés de moi (par la nationalité, la
couleur de peau, la religion – au contraire de bien des laïcards,
je ne suis pas sectaire), car tous ont quelque chose à m'apprendre,
de l'affection à me donner, et peut-être que, moi-même, je leur apporte
quelque chose en retour...
Quand
j'étais très jeune, je pensais que je serai peut-être écrivain.
Mais j'ai beaucoup lu, je me suis frotté aux plus grands écrivains
(sans les éliminer tout à fait, je n'ai laissé qu'une place
réduite à ceux qui n'apportent que du divertissement) et j'ai vu
très vite que je ne pourrai pas rivaliser. Certes, j'ai écrit de
petites choses dont je suis fier (après tout, pourquoi se
dévaloriser ?), mais bon, je les mets à leur juste place. Je n'ai
pas l'outrecuidance du héros de Gustave
Flaubert, dans sa pièce de théâtre Le
candidat,
lue récemment (réédition Le Castor astral, 1987) qui proclame :
"Allons,
pas de faiblesse, ventrebleu ! Un homme en vaut un autre, et
j'en vaux plusieurs !"
Il est vrai qu'il est candidat à la députation et que Flaubert
détestait la politique et ses jeux de pouvoir. Comme Michel
Tournier, dans son livre d'entretiens Je
m'avance masqué : entretiens avec Michel Martin-Roland,
autre lecture récente (paru chez Gallimard, 2013), je peux
affirmer :"Je
déteste profondément le pouvoir. Je crois qu'il procure une espèce
de griserie totalement fausse."
Oui,
je me suis grisé autrement - et j'espère moins faussement, imitant Baudelaire dans son petit poème
en prose Enivrez-vous :
"Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves
martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin,
de poésie ou de vertu, à votre guise." Vous remarquerez que le poète
ne signale pas, dans les sources d'ivresse, le pouvoir. Ce pouvoir qui met à mal la liberté,
d'une façon générale (même dans nos démocraties).
Je finirai avec Luis Sepúlveda, le merveilleux romancier du Vieux
qui lisait des romans d'amour et qui nous dit dans ses très
autobiographiques Histoires
d'ici et d'ailleurs
(trad. Bertille Hauberg, Métailié, 2011) : "Le
droit de se déplacer ou pas est inhérent à l'être humain. La
permission de se déplacer ou pas est une atteinte, cruelle et
planifiée, à la liberté individuelle."
Oui, la vieillesse, c'est comme la jeunesse, mais sous une autre forme.
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