Le
malheur, qui sait ? s'envole en un clin d’œil.
(Abelkebir
Khatibi, Triptyque de Rabat, N. Blandin, 1993)
Où
va se nicher l'humanité ? Dans notre monde de plus en plus
gadgétisé, hyper connecté, où les robots remplacent peu à peu
l'être humain (ah ! tous ces magasins et services – postes,
gares, bibliothèques même ! – où les caisses sont de plus
en plus rares et où on est peu à peu contraint à faire soi-même
le travail des employés, sans le moindre contact humain !),
comme ça fait plaisir de voir de temps en temps des films sans super
héros, sans gadgets électroniques, où il est simplement question
de nous, hommes, femmes, enfants ou adolescents, aussi bien que
vieux, où les personnages nous parlent vraiment. Je viens de voir
deux films, où les personnages sont des êtres vivants comme vous et
moi, et Dieu, que ça fait du bien !
Fatima,
d'abord, le film de Philippe Faucon, réalisateur que je suis avec attention
depuis quelques années : il avait parfaitement saisi dans
La désintégration
l'itinéraire d'un de ces enfants perdus des cités. Fatima est tiré
des livres de Fatima Elayoubi, qui y raconte sa vie. Fatima comprend
approximativement le français mais ne le parle pas, elle fait des
ménages. Elle vit seule – son mari s'est remarié - avec ses deux
filles : Souad, à 15 ans, ne comprend pas sa mère, voudrait
être comme les autres filles et se révolte contre les profs, la
société et traite mal sa mère, qu'elle juge exploitée et
ostracisée par la société, et dont elle a honte. L'aînée,
Nesrine, 18 ans, commence, malgré les difficultés liées à son
statut de fille d'immigrée, des études de médecine. Fatima vit son
absence de maîtrise du français comme la source principale de ses
difficultés, notamment avec sa fille cadette, car elle ne vit que
pour ses filles, voulant leur offrir le meilleur avenir possible. À
la suite d'une chute dans un escalier, elle est en arrêt de travail pendant plusieurs mois. Elle écrit alors dans des cahiers ses pensées, ses idées, ses
impressions, tout ce qu'elle ne peut guère dire à ses filles.
Nesrine, qui a écouté les écrits de sa mère que Fatima lui a lu à
haute voix, réussit sa première année, la plus difficile, Souad en
est heureuse et va peut-être revenir à de meilleurs sentiments.
On
voit donc ici deux
générations de femmes, l'immigrée, handicapée par sa
méconnaissance du français, et ses filles, qui veulent s'émanciper,
chacune à sa manière, et qui ne parlent pas l'arabe (elles
répondent en français à Fatma qui leur cause en arabe). La
violence sociale est omniprésente, aussi bien celle des employeurs
de Fatima, que celle que renvoient la mère d'une camarade de lycée
de Souad, ou celle qui se présente au moment de louer un appartement
pour Nesrine. Le film, très concret, nous oblige à nous poser des
questions sur
comment s'adapter, comment s’approprier une culture différente.
Chacune, la mère bien entendu, mais les filles aussi, sont renvoyées
sans cesse à leur origine. En écrivant, Fatima, tout en aaquérant une
conscience affinée de ses difficultés, accepte ce qu'elle est –
et qui n'est pas négligeable, et refuse la résignation (comme en
suivant des cours d'alphabétisation). Ici, on est loin des idées
toutes faites sur les immigrés, aussi bien qu'éloigné de toute
sensiblerie ou des bons sentiments. C'est avant tout un film qui porte haut la dignité de
l'individu dans la société. Admirablement joué, Fatima
est
le film indispensable de cette année 2015. Comme l'a écrit mon amie
C., d'Amiens, il devrait même être obligatoire en ces temps de
frilosité et de repli identitaire : mais les tenants de la
« race blanche » ont-ils envie de voir de l'humanité
dans les autres ? J'en doute.
* * *
Notre
petite sœur,
du Japonais Horizaku Kore-Eda (déjà auteur du superbe Tel père,
tel fils il y a deux ans, voir ma page du 30 décembre 2013), est
également une petite merveille d'humanité. Trois
sœurs, Sachi (que les autres appellent Grande sœur), Yoshino et
Chika, vivent ensemble à Kamakura, depuis que leur mère a été
abandonnée par leur père. Ce dernier meurt, après s'être remarié
deux fois : elles se rendent à l’enterrement et découvrent
qu'elle ont demi-sœur, Suzu, âgée de 13 ans, qui a veillé sur le
père, malgré son jeune âge, pendant ses derniers mois. Les trois
sœurs décident d’accueillir Suzu dans leur grande maison. Le film
va raconter le lent apprivoisement de Suzu dans cette fratrie
inattendue : en effet, elle ne s'entendait pas vraiment avec sa
belle-mère, dernière femme de son père, nantie d'un petit garçon
d'un autre lit. Un film familial donc que Notre
petite soeur,
comme le précédent, ou comme les films de son grand prédécesseur,
Ozu. Mais, comme Ozu, en dressant un portrait de famille, Kore-Eda
parle de l'humanité en général, de ses petits travers et de ses
grands joies, de ses difficultés et de ses bonheurs, du vivre
ensemble enfin, sans pour autant renier l'individualité de chacun.
Mais le groupe permet de créer un ensemble inoubliable pour le
spectateur qui se dit : mais qu'est-ce qu'on a perdu dans notre
société contemporaine à vivre séparés chacun dans son coin ou sa
bulle ?
Kore-Eda
nous propose un vade-mecum de l'entraide et de la solidarité. La
grande sœur sert de guide et de mère, malgré ses propres
difficultés de vie personnelle (elle est amoureuse d'un homme
marié), Yoshino, elle, vit des amours ratées avec une constance qui
nous fait rire, Chika, la troisième, est badine et pétillante. Suzu
est d'une douceur inébranlable. Peut-être que l'accompagnement d'un
mourant l'a mûrie prématurément : mais ça ne l'empêche pas
de jouer au football ou d'aimer ramasser des coquillages sur la
plage. Son dépaysement ne dure pas longtemps, elle s'adapte dans
cette sororité, y trouve sa place, secourt même ses aînées quand
elles sont en proie au mal-être. Si Soshi est la mère, elle
représente le père que les autres (surtout Chika) ont peu connu.
Chacune des quatre va en quelque sorte se (re)construire au contact
des autres. Et tout cela est traité avec un sens de la délicatesse, un goût de la nature (beaux paysages), avec humour aussi (voir les passages avec la
grand-tante, vieille dame au franc-parler adorable), et en filigrane
pourtant, Notre
petite sœur est une réflexion sur la mort et le deuil. Un très beau film.
Voilà des films qui nous réconcilieraient avec l'humanité, s'il en était besoin. Je me demande à écouter les nouvelles, si justement il n'en est pas besoin !
Voilà des films qui nous réconcilieraient avec l'humanité, s'il en était besoin. Je me demande à écouter les nouvelles, si justement il n'en est pas besoin !
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