lundi 19 octobre 2015

19 octobre 2015 : Les femmes de Molière


un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant.
(Molière, Les femmes savantes


Nous avons étudié en classe Les femmes savantes, je crois, en 3ème, donc pendant l'année 1959-1960. Je ne me souviens pas du tout de ce que j'en ai pensé alors. J'ai probablement ri à la scène du renvoi de Martine, vu la manière dont Molière nous montre le malheureux Chrysale écrasé par sa femme Philaminte (acte II, scène 6). Pas sûr que la scène pivot, celle où les trois femmes « savantes » (Philaminte, Bélise et Armande) sont en admiration béate devant Trissotin et ses poèmes ridicules, m'ait beaucoup parlé. Décidément, Molière avait une dent dure contre les faux poètes (Trissotin ici, Oronte dans Le misanthrope) dont il se venge d'un trait rageur.
Vadius et Trissotin, au fond Philaminte et Henriette
(à Chéneché, 11 octobre 2015)
Ce qui me frappe aujourd'hui – et c'est une des pièces de Molière que j'ai lu plus souvent relues – c'est le féminisme militant qu'arborent fièrement Philaminte et Armande, quand elles évoquent le plan de l'académie qu'elles veulent fonder. La tirade de Philaminte, qui se termine par "Car enfin je me sens un étrange dépit Du tort que l'on nous fait du côté de l'esprit, Et je veux nous venger, toutes tant que nous sommes, De cette indigne classe où nous rangent les hommes, De borner nos talents à des futilités, Et nous fermer la porte aux sublimes clartés", complétée par ce que dit la jeune Armande : "C'est faire à notre sexe une trop grande offense, De n'étendre l'effort de notre intelligence Qu'à juger d'une jupe et de l'air d'un manteau Ou des beautés d'un point, ou d'un brocart nouveau" mérite qu'on s'y arrête. Ces femmes veulent s'instruire, et ne pas se cantonner aux choses du ménage, comme le souhaiterait Chrysale, mari de Philaminte, qui leur affirme : "Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfants, Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens, Et régler la dépense avec économie, Doit être son étude et sa philosophie."
les jeunes premiers, Clitandre et Henriette, heureux de jouer
Sans doute, elles s'y prennent mal, admirent sans réserve de médiocres intellectuels qui se révèlent non seulement piètres poètes, mais vindicatifs (querelle Trissotin/Vadius) et intéressés (cf scène finale) ; ou bien elles se réfugient dans des idées chimériques (Bélise surtout), mais peut-on leur reprocher de vouloir s'instruire et de ne plus être sottes ?
Certes, c'est une comédie, mais comme souvent chez Molière, on frôle la tragédie. Henriette échappe de peu au mariage avec l'odieux Trissotin (il est vrai qu'elle se serait enfuie dans un couvent pour s'y soustraire). Armande, la sœur aînée, est sans doute le personnage le plus douloureux : elle a repoussé Clitandre, qui l'a longuement courtisée, ne voulant pas être assujettie aux lois du mariage, et en fin de compte va se retrouver vieille fille, comme sa tante Bélise. Sauf qu'Armande en sera aigrie, alors que Bélise vit dans un rêve de chimères, croyant tous les hommes amoureux d'elle, pour peu qu'ils l'écoutent ou la regardent.
Théâtre du Pont tournant : Philaminte, Armande, Bélise
La représentation que je viens de voir au théâtre du Pont tournant m'a paru très réussie. Le personnage de Bélise était carrément joué en farce, et celui de Trissotin également. Peut-être ainsi le ridicule de ces deux personnages est-il accentué.
Mais nos représentations à nous, n'en sont pas indignes. Pour autant que j'aie pu en juger, en étant derrière le rideau, dans la coulisse, pendant les 9/10e de la pièce, attendant d'entrer en scène à la fin du dernier acte pour mon très court rôle du notaire, mes partenaires se sont tous sortis à leur honneur des pièges nombreux de la pièce. Quelques trous dans le texte seront corrigés lors des prochaines représentations. Après tout, ici à Bordeaux, l'acteur qui jouait Trissotin a bien estropié le vers 1023 en intervertissant bruit et livre : il nous a sorti un "Souviens-toi de ton bruit et de son peu de livre" du plus bel effet (sur moi, qui connais presque la pièce par cœur, à force d'entendre nos répétitions). Pas sûr que le public s'en soit aperçu ! Ceci étant, nous avons fait plus de coupures dans le texte qu'eux : Leurs femmes savantes duraient 1 h 40, contre 1 h 25 les nôtres.

Notre affiche

Grand plaisir de jouer ou de voir du Molière !

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