un
sot savant est sot plus qu'un sot ignorant.
(Molière,
Les femmes savantes)
Nous
avons étudié en classe Les
femmes savantes,
je crois, en 3ème, donc pendant l'année 1959-1960. Je ne me
souviens pas du tout de ce que j'en ai pensé alors. J'ai
probablement ri à la scène du renvoi de Martine, vu la manière
dont Molière nous montre le malheureux Chrysale écrasé par sa
femme Philaminte (acte II, scène 6). Pas sûr que la scène pivot,
celle où les trois femmes « savantes » (Philaminte,
Bélise et Armande) sont en admiration béate devant Trissotin et ses
poèmes ridicules, m'ait beaucoup parlé. Décidément, Molière
avait une dent dure contre les faux poètes (Trissotin ici, Oronte
dans Le misanthrope)
dont il se venge d'un trait rageur.
Vadius et Trissotin, au fond Philaminte et Henriette
(à Chéneché, 11 octobre 2015)
Ce
qui me frappe aujourd'hui – et c'est une des pièces de Molière
que j'ai lu plus souvent relues – c'est le féminisme militant
qu'arborent fièrement Philaminte et Armande, quand elles évoquent
le plan de l'académie qu'elles veulent fonder. La tirade de
Philaminte, qui se termine par "Car
enfin je me sens un étrange dépit Du
tort que l'on nous fait du côté de l'esprit, Et
je veux nous venger, toutes tant que nous sommes, De
cette indigne classe où nous rangent les hommes, De
borner nos talents à des futilités, Et
nous fermer la porte aux sublimes clartés", complétée
par ce que dit la jeune Armande : "C'est
faire à notre sexe une trop grande offense, De
n'étendre l'effort de notre intelligence Qu'à
juger d'une jupe et de l'air d'un manteau Ou
des beautés d'un point, ou d'un brocart nouveau" mérite
qu'on s'y arrête. Ces femmes veulent s'instruire, et ne pas se
cantonner aux choses du ménage, comme le souhaiterait Chrysale, mari
de Philaminte, qui leur affirme : "Former
aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfants, Faire
aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens, Et
régler la dépense avec économie, Doit
être son étude et sa philosophie."
les jeunes premiers, Clitandre et Henriette, heureux de jouer
Sans
doute, elles s'y prennent mal, admirent sans réserve de médiocres
intellectuels qui se révèlent non seulement piètres poètes, mais vindicatifs (querelle
Trissotin/Vadius) et intéressés (cf scène finale) ; ou bien elles se réfugient
dans des idées chimériques (Bélise surtout), mais peut-on leur
reprocher de vouloir s'instruire et de ne plus être sottes ?
Certes,
c'est une comédie, mais comme souvent chez Molière, on frôle la
tragédie. Henriette échappe de peu au mariage avec l'odieux
Trissotin (il est vrai qu'elle se serait enfuie dans un couvent pour
s'y soustraire). Armande, la sœur aînée, est sans doute le
personnage le plus douloureux : elle a repoussé Clitandre, qui
l'a longuement courtisée, ne voulant pas être assujettie aux lois
du mariage, et en fin de compte va se retrouver vieille fille, comme sa tante Bélise.
Sauf qu'Armande en sera aigrie, alors que Bélise vit dans un rêve de chimères,
croyant tous les hommes amoureux d'elle, pour peu qu'ils l'écoutent ou la regardent.
Théâtre du Pont tournant : Philaminte, Armande, Bélise
La
représentation que je viens de voir au théâtre du Pont tournant
m'a paru très réussie. Le personnage de Bélise était carrément
joué en farce, et celui de Trissotin également. Peut-être ainsi
le ridicule de ces deux personnages est-il accentué.
Mais
nos représentations à nous, n'en sont pas indignes. Pour autant que
j'aie pu en juger, en étant derrière le rideau, dans la coulisse,
pendant les 9/10e de la pièce, attendant d'entrer en scène à la
fin du dernier acte pour mon très court rôle du notaire, mes
partenaires se sont tous sortis à leur honneur des pièges nombreux
de la pièce. Quelques trous dans le texte seront corrigés lors des
prochaines représentations. Après tout, ici à Bordeaux, l'acteur
qui jouait Trissotin a bien estropié le vers 1023 en intervertissant
bruit et livre : il nous a sorti un "Souviens-toi de ton
bruit et de son peu de livre" du plus bel effet (sur moi, qui
connais presque la pièce par cœur, à force d'entendre nos
répétitions). Pas sûr que le public s'en soit aperçu ! Ceci
étant, nous avons fait plus de coupures dans le texte qu'eux :
Leurs femmes
savantes duraient
1 h 40, contre 1 h 25 les nôtres.
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