Le
cours éternel de l'eau est comme l'amour que j'ai pour toi :
constant, silencieux, irrésistible, inépuisable.
(Grazia
Deledda, Braises,
trad. Fabienne Andréa-Costa, Autrement, 1999)
Je
n'avais pas lu Grazia Deledda depuis les années 80 et mon passage à
Amiens, je crois bien. Ses deux romans,
La madre
et Elias
Portolu,
m'avaient beaucoup plu : ce sont de solides romans
régionalistes, si l'on veut (mais ça n'a rien de péjoratif, il suffit de penser à Giono ou à Faulkner), réalistes certainement, et même
véristes dans la lignée de son compatriote Giovanni Verga, le
Sicilien. Depuis cette époque, les éditions Autrement se sont
lancées dans une édition de nouvelles traductions de la romancière
sarde (prix Nobel de littérature en 1926, tout de même).
Braises
(titre
original Cenere,
paru en 1904) est le roman de l'enfance et de l'adolescence dans le
monde primitif de la montagne sarde. Anania, le héros, est le fruit
de la faute. Sa mère, Oli, l'a eu hors mariage, et l'abandonne à
l'âge de sept ans. Il est alors élevé dans le village de Fonni par une douce veuve, zia Tatàna,
en compagnie du fils de celle-ci, Zuanne. Les deux garnements font
les quatre cents coups. Mais Anania, torturé par l'absence de sa
mère, connaît son père, ouvrier agricole qui rêve de
découvrir un trésor caché, et décide de le rejoindre.
Il est alors élevé par sa belle-mère, zia Grathia. Il se lie
d'amitié avec Bustianeddu, un garçon du village, et participe aux
travaux des champs : là aussi, ils font des bêtises et, "comme
les délinquants que l'on emprisonne, Bustianeddu ressortait de cette
sorte de captivité plus rusé et plus endurci que jamais."
Le patron de son père, monsieur Carboni, l'oblige à reconnaître
son fils, qu'il parraine à l'occasion de sa confirmation. C'est lui
qui va aider l'adolescent ambitieux à faire des études primaires,
puis secondaires qui vont l'emmener à Cagliari, la capitale, où
Anania essaie de retrouver sa mère. Anania est tombé amoureux de la
fille de Carboni, Margherita. Mais il se sait inférieur, surtout du
fait de son illégitimité. Quand il part à Rome pour ses études
supérieures, qui seules peuvent le rapprocher de l'espérance d'un
mariage, les deux jeunes gens échangent des promesses d'amour.
Mais tout en étudiant avec vigueur, il essaie de retrouver la trace de
sa mère : "Chercher
sa mère ! Cette idée l'accapara corps et âme et ne le lâcha plus."
Il a bien connu la misère de la vie à la campagne, "la
voix des gens qui n'avaient rien à manger, des femmes qui n'avaient
pas de vêtements et des hommes qui se soûlaient pour s'abrutir et
finissaient par frapper leur femme, leurs enfants et leurs bêtes
parce qu'ils ne pouvaient pas frapper le destin."
Il sait que sa mère est une victime, elle aussi, du "destin
qui
prive de travail des êtres malheureux, comme il en prive d'autres de
raison, de santé ou de bonté."
Je ne raconte pas la fin du livre. Le roman est magnifiquement tenu
jusqu'au bout, et Grazia Deledda refuse la facilité de la fin heureuse. Le héros,
après avoir retrouvé Oli, vieillie avant l'âge, malade de la
malaria et dans une misère noire, se rend compte de "ce
qu'est l'homme : une flamme futile qui passe dans la vie, réduit
en cendres tout ce qu'elle touche et s'éteint lorsqu'elle a tout
détruit..."
Il passe volontiers de l'amour à la haine envers cette femme qui l'a
abandonné trop tôt et qui lui fait penser que "la
douleur et la joie se ressemblent : l'une et l'autre brûlent."
Braises
est le magnifique portrait d'un enfant, puis d'un adolescent et d'un jeune homme en recherche, souvent très
proche de ses « mères » successives (ses deux marâtres,
puis sa logeuse à Rome), et dont le besoin de rechercher Oli
apparaît presque comme un désir inconscient d'inceste. On rencontre chez lui une absence de clairvoyance que signale parfaitement le vieux
jardinier devenu aveugle : "Quand
je voyais avec les yeux de mon corps, mon âme était aveugle, mais
maintenant je vois, je vois avec les yeux de l'âme."
Un
très grand roman qui baigne dans la nature et la montagne sardes,
qui sont ici, comme l'indique la traductrice dans sa postface, à la
fois "témoin
et reflet des mouvements de l'âme."
Le livre plaira beaucoup à ceux qui, comme moi, ont vécu leur
enfance dans la campagne profonde, et qui était encore aussi
primitive dans les Landes des années 50 qu'en Sardaigne au début du 20ème
siècle.
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