vendredi 18 septembre 2015

18 septembre 2015 : Mostra de Venise, bonne cuvée


L'artiste de génie ne change pas la réalité ; ce qu'il change, c'est notre regard.
(Juan Ramón Ribeyro, Propos apatrides, Finitude, 2011)


Après l'art contemporain, le cinéma était la grande affaire de Venise en ce début du mois de septembre. Il m'a semblé pourtant qu'il y avait moins de monde à la Mostra que les années précédentes : les grandes salles (Palabiennale, Sala grande, Sala Darsenna) étaient à moitié vides, et les files d'attente nettement réduites. Signe d'une désaffection pour le cinéma ? Absence de grosses vedettes internationales (en dehors de Johnny Depp) ? Deux points noirs : le son tonitruant des projections (j'ai fini, à partir du troisième jour, par apporter mes bouchons auriculaires), à croire que tout le monde est devenu sourd ; et surtout les insupportables smartphones et iphones qui transformaient une grande partie du public en robots plus attentifs à ce qui se passait dans leurs mains qu'à ce qu'ils voyaient sur l'écran (idem d'ailleurs à la Biennale ou dans les rues et places de Venise, où une bonne moitié regardaient leurs mains plus que les œuvres d'art ou les bâtiments et le paysage) : ils n'hésitaient pas à allumer leur engin en pleine projection. Triste époque. Il n'y a pas que les enfants qui, peu à peu, sont dans une addiction terrible et de moins en moins concentrés sur ce qu'ils font. 
matin : en route vers le Lido
 
Alors, la Mostra 2015, une bonne cuvée ? Selon moi, oui, pour ce que j'en ai vu. J'ai débuté par la réédition du superbe Alexandre Nevski d'Eisenstein (pas revu sur grand écran depuis le ciné-club du lycée, vers 1959) et j'ai fini par l'extraordinaire Béhémoth, du Chinois Zhao Liang, à la fois documentaire et essai lyrique sur l'enfer créé par les mines et l'industrie dans la Chine contemporaine : comme il s'est servi de Dante comme fil conducteur, le film aurait pu s'intituler "la Diabolique comédie". J'étais enthousiasmé ; à l'approche de la Cop 21 et de la mascarade qui va s'y jouer, un film nécessaire, tout à l'opposé du film à thèse (il ne pourra pas servir de base à un débat du type "dossier de l'écran"), un simple constat, mais d'un poète, comme un Victor Hugo aurait pu en faire. 
les acteurs du film du Vanuatou, "Tanna" (pas vu)
 
Entre-temps, j'avais aperçu et bien aimé Catherine Frot chantant comme une casserole dans Marguerite, Juliette Binoche ne se remettant pas de la disparition de son fils dans L'attente, un curieux film brésilien sur l'élevage des taureaux pour des joutes où des hommes essaient de les renverser : Neon Bull, une terrible évocation des misérables (façon Victor Hugo) dans la rue à Manille : Blanka (avec le film chinois, ce fut mon film préféré parmi les nouveautés, et le plus applaudi de ceux que j'ai vus, dix minutes non-stop), presque aussi puissant que Los olvidados de Bunuel, qui reste le film de référence sur le sujet. Deux films intéressants venus d'Afrique du nord et décryptant la société de ces pays : le tunisien À peine j'ouvre les yeux (Leïla Bouzid) et l'algérien Madame Courage (Merzak Allouache), deux films indiens remarquables : Island city et Visaanaraï, un film turc sur le terrorisme (kurde, évidemment ?) : Abluka, un très beau film singapourien : The return, sur un vieil homme sorti de prison politique après vingt années d'incarcération et de torture, et un curieux film italien : Bagnoli jungle, qui croise plusieurs destins. 
acteurs et équipe technique d'un des films indiens
  
Et j'ai vu aussi le Lion d'or, Desde allá, du Vénézuélien Lorenzo Vigas. Ce film n'est pas sans rappeler par son thème Eastern boys, vu à Venise il y a deux ans : un homme mûr, au passé trouble (nous devinons qu'enfant, il a été violenté par son père), n'assume pas son homosexualité et se prend d'affection pour un jeune voyou. Très bien joué par Alfredo Castro (déjà vu dans plusieurs films chiliens ou argentins), le film fut aussi très applaudi. Mais je pense que Béhémoth méritait davantage le Lion d'or ; peut-être ne l'a-t-il pas eu parce que ce n'est pas un film de fiction, mais une sorte d'ovni cinématographique que seuls des poètes peuvent apprécier ?


entre deux films, la plage du Lido

Enfin, dans les films restaurés, outre celui d'Eisenstein, je suis allé voir ou revoir des merveilles (à mes yeux) : Léon Morin, prêtre, de Jean-Pierre Melville (Belmondo en soutane, très convaincant), La lupa, d'Alberto Lattuada (le néo-réalisme italien encore bien vivant dans les années 50), Les garçons de Fengkueï, de Hou Hsiao Hsien (un de ses premiers films, où l'on suit des sortes de Vitelloni taïwanais), Le beau Serge, de Chabrol et Pattes blanches, de Jean Grémillon. Dans ce dernier film, j'ai découvert Michel Bouquet dans un de ses premiers rôles. Je signale que les films anciens passaient dans une petite salle et qu'à l'exception du film italien, ils n'ont pas attiré grand-monde... Les spectateurs seraient-ils devenus amnésiques et s'amputeraient-ils eux-mêmes de toute l'histoire du cinéma : ou est-ce le noir et blanc qui rebute, car seul le film taïwanais était en couleurs ? C'est comme si, en littérature, on ne lisait plus Molière ou Victor Hugo, en peinture, si on ne regardait plus la Joconde ni la Liberté guidant le Peuple, ou en musique, si on n'écoutait plus Mozart ou Vivaldi... 


devant le Palais du festival, un des lions sculptés
 
Aller voir ces classiques ne m'a pas empêché de découvrir des nouveautés, et quand je dis découvrir, c'est bien découvrir : je n'ai pas acheté le catalogue de la Mostra, trop volumineux et donc je n'avais souvent aucune idée du contenu des films avant de les voir, je n'en savais que l'origine (pays, réalisateur, langue). À part trois mauvaises surprises (un film portugais, un film chilien et un film turc), je n'ai pas été déçu non plus. Le cinéma reste un art plein de vitalité !
retour sur Venise, le soir
les gondoles, et à droite, le Palais des doges



1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je ne suis pas cinéphile, mais quand même, vous me faites rêver!