dimanche 4 janvier 2015

4 janvier 2015 : préparatifs de départ


Les officiers, tour à tour, jettent un coup d’œil à la table des passagers. Qui sont-ils ? Quel bougre de désir bizarre les a saisis, les a réunis ? Des idées de terrien ?
(Bernard Mathieu, Cargo, J. Losfeld, 2005)


Me voilà en pleins préparatifs. À vrai dire, ce voyage est dans ma tête depuis déjà un an, puisqu'il a été repoussé, la proposition précédente qui m'avait été faite, de partir en avril et revenir en juillet, me semblait inadéquate. Je serais tombé dans l'automne néo-zélandais, par exemple, leur mois de mai correspondant à notre novembre. En tout cas, j'en rêve, et dors donc moyennement bien depuis quelques semaines.
Mais effectivement, mon désir de voyager de cette façon est bizarre. Officiers, techniciens et matelots s'interrogent sur nous. Jean-Paul Léger, ex-officier de marine marchande, dans son livre de souvenirs, Au gré des ondes : par-delà les océans (La Découvrance, 2009), écrit, en parlant des passagers : "Ils ont bien du mérite tous ces gens qui viennent se mesurer à l'océan sans y être obligés". Je ne suis pas sûr qu'on puisse parler de mérite, mais de bizarrerie, oui. Eux voyagent sur la mer parce que c'est leur métier, et leur seule envie, c'est retrouver la terre. Il leur est difficile de comprendre que, pour nous, passagers au long cours, notre seule envie, c'est d'être sur la mer ; la terre, on connaît !
Jean-Paul Léger, qui voyageait dans les années 60-70, dresse d'ailleurs un tableau semi-apocalyptique des cargos de l'époque, dont beaucoup étaient des déclassés de la marine de guerre américaine. Les rats semblaient pulluler à bord, les tempêtes étaient effrayantes (j'ai quand même connu Xynthia en 2010, voir ma page du 23 mars 2010, intitulée cargo, et la photo des vagues qui montent au-dessus des conteneurs), car la météo marine moins fiable qu'aujourd'hui, la bouffe parfois exécrable, les escales beaucoup plus longues, car chargement et déchargement étaient quasi manuels ! Pourtant il en garde de bons souvenirs : pour lui, " la mer était une personne vivante tantôt compatissante et empathique, tantôt cruelle, effrayante et sans pitié".
Personnellement, je n'ai jamais eu à me plaindre de la nourriture, certes moyenne en qualité, mais tout à fait nourrissante. Je n'ai jamais aperçu le moindre rat (à peine des blattes aux abords de la cuisine). Et la mer n'a pas eu trop de cruauté ! On va voir ce que ça donnera dans le Pacifique, si nous avons à affronter une tempête tropicale... Pour moi, l'important est d'être totalement dépaysé, pétri de curiosité, en me mêlant à la vie de ces marins, qui m'ont tant fait rêver quand j'étais gamin ou quand je lisais Jules Verne, Herman Melville et Joseph Conrad, et dont les origines sont si lointaines (Philippins, Européens de l'Est), en étant déconnecté (et au sens propre, plus de télé, plus de radio, plus de journaux, plus d'internet !) de la vie de tous les jours. Un vrai voyage, en somme.
Virginia Woolf, dans un des essais parus dans Sur les inconvénients de ne pas parler français (trad. Christine Le Boeuf, L'Escampette, 2014) nous dit : "Il y a des gens qui, en voyage, s'emmitouflent, silencieux et soupçonneux, « se défendant de la contagion d'un air inconnu ». Quand ils dînent, il leur faut les mêmes aliments que chez eux. Chaque chose vue, chaque coutume est mauvaise, à moins qu'elle ne ressemble à celles de leur village. Ils ne voyagent que pour rentrer chez eux". Partout où je suis allé (sur terre aussi bien), j'ai toujours apprécié de me frotter à ces différences.
Quant à être coupé du monde, je ne peux que souscrire à ce qu 'écrivait Nicolas Bouvier, dans Le vide et le plein : carnets du Japon, 1964-1970 (Gallimard, 2009) : "Et d'ailleurs, quel besoin si urgent a-t-on d'être informé ? Pour ce qu'on en fait, de l'information qu'on possède ! Mieux vaut connaître dix choses et leurs rapports que dix mille choses éparses".

 
mon prochain cargo

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