je
n'ai pas encore bien compris si c'est nous qui traversons le temps ou
si c'est le temps qui nous traverse. C'est-à-dire : si c'est
nous qui passons tandis que le temps demeure immobile, ou bien si
c'est le temps qui passe tandis que nous sommes immobiles.
(Antonio
Tabucchi, Autobiographies d'autrui, trad. Lise Chapuis,
Bernard Comment, Seuil, 2002)
Je
reviens de Montpellier, où j'ai participé à un Festival Cinéméd
exceptionnel. Pratiquement, tous les les films vus étaient de bonne
facture, quelques-uns excellents, trois au moins des chefs-d’œuvre,
mot que je ne galvaude pas en principe.
En
premier lieu, deux « classiques » du cinéma, que je
n'avais jamais vus : La cité des femmes de Fellini,
comédie féministe déjantée (et macho aussi) qui reste largement
d'actualité, et Le bourreau de Berlanga, comédie noire sur
la peine de mort et qui en démontre l'inanité par l'absurde :
la force du film est telle que Berlanga fut interdit de cinéma
pendant dix ans par le régime franquiste !
Ensuite,
la perle du Festival, qui a raflé tous les prix, celui du jury,
celui de la critique et celui du public (ce genre d'unanimité me
paraît souvent suspect, mais là, je m'incline), et qui sortira en
salle le 24 décembre, comme un merveilleux cadeau de Noël : La
terre éphémère, du Géorgien George Ovashvili. Ça se passe
sur le fleuve Inguri, qui forme la frontière entre la Géorgie et
l'Abkhazie. Au printemps, les alluvions se condensent pour former des
îles éphémères qui durent tout l'été et sont ensuite emportées
par les pluies d'automne. Mais les paysans tentent de s'y implanter
momentanément pour y cultiver du maïs. On suit donc un vieux paysan
qui vient repérer les lieux, puis apporter ses outils et de quoi
construire une cabane (voilà qui plairait à mon ami berger de
l'Ardèche), avant de planter du maïs, avec l'aide de sa petite
fille, une adolescente de quatorze ans qu'il élève. Sur le fleuve,
passent de temps en temps en temps des gardes-frontières géorgiens
ou des soldats russes, ou un fugitif blessé, car le conflit avec
l'Abkhazie est toujours là. On suit donc les deux personnages
principaux dans ces jours et ces semaines rythmés par les travaux
des champs, la consolidation de l'île, les rares conversations (car
ce sont des taiseux). Les paysages sont magnifiques, il n'y a pas une
image de trop, les gestes, les visages, la nature, tout est
admirablement observé. On est époustouflé devant la beauté, comme
toujours. Espérons que ce sera un succès, et on peut y emmener les
enfants, à partir de dix ans, car eux aussi (eux surtout) ont
besoin de cette beauté pour se former esthétiquement. J'irai le
revoir à sa sortie, il entre déjà dans mon panthéon personnel !
Mais
j'ai découvert aussi le cinéaste italien Antonio Pietrangeli, dont
on passait une rétrospective, avec notamment un superbe Cocu
magnifique, avec Ugo Tognazzi. Et puis, il y avait, comme
toujours, des films de tout le pourtour méditerranéen : un
beau documentaire français sur la Bosnie (Karmen – Les pierres,
de Florence Lazar), une flopée de films grecs dont je reparlerai
quand ils sortiront (mais parmi lesquels l'inénarrable parodie de
science-fiction L'Attaque de la moussaka géante, on
était mort de rire), deux très bons films marocains (Adios
Carmen et Le veau d'or), une ribambelle de films venant
d'Espagne, d'Algérie, de Tunisie, de Turquie, d'Israël et de
Palestine, de Syrie, du Portugal, etc.
Outre
ma famille, cousins, sœur, beau-frère et nièce, j'ai fait aussi de
très belles rencontres, dont Robin des rues (voir sur le site
http://www.hautcourant.com/Le-Robin-des-Rues,1697),
avec qui j'ai longuement discuté, et un handicapé sur fauteuil
roulant électrique à qui j'ai apporté mon secours pour qu'il
puisse sortir de l'argent d'un distributeur, sur sa demande, car
m'a-t-il expliqué, « je peux insérer la carte, mais je ne peux pas
appuyer sur les touches trop hautes de RETRAIT ni du montant, je peux
seulement taper mon code, et je ne peux pas retirer ma carte, c'est
trop dur ». Il a donc inséré sa carte, j'ai appuyé sur
RETRAIT, il a tapé son code, j'ai appuyé sur la touche 20 €, puis
j'ai retiré la carte. Pareillement, on a longuement conversé
ensuite... Il partait à Sète en train pour participer à des
compétitions handi-sport. Il m'a confié la galère que c'était
avec le nombre de lieux publics inaccessibles aux fauteuils roulants
sans aide extérieure... Pourtant la loi prévoyait que tous devaient
l'être en 2015. Selon lui, la date va être repoussée aux calendes
grecques.
Le temps serait-il immobile ?
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