jeudi 27 novembre 2014

27 novembre 2014 : Poitiers, les Arabes et nous

Comme je m'absente pour quelques jours, je n'ai pas le temps d'alimenter directement mon blog.
Je vous propose de méditer sur un texte de René Naba :

La bataille de Poitiers n’a sans doute jamais eu lieu

 

Poitiers, haut lieu de la controverse coloniale, dispute à Toulouse le lieu d’une mythique bataille, qui n’a sans doute jamais eu lieu, en tout cas certainement pas à Poitiers, si tant est qu’elle ait jamais eu lieu, qui nourrit néanmoins la légende française et son cortège de fantasme. Mais nul ne l’ignore, toute conscience se pose en s’opposant et ceci pourrait expliquer le fait que Poitiers se revendique comme un fait d’armes français… virtuel. Maigre consolation pour une puissance d’empire en voie inexorable de relégation à l’échelle des Nations, au moment où l’Islam se hisse au deuxième rang des grandes religions de France.
La vérité historique commande toutefois de le proclamer urbi et orbi : La guerre de Poitiers n’a sans doute jamais eu lieu. Plus prosaïquement, à l’annonce du décès du calife, le prince Abdel Rahman leva le siège de Poitiers pour retourner en Andalousie participer à la guerre de succession. Au terme de l’hiver, Charles Martel constata la levée du siège, trois mois après le départ des troupes arabes. Plein d’étonnement et d’incrédulité, il poussa un cri de soulagement si fort que ses partisans l’assimilèrent à une victoire. Quant à l’exploit de Toulouse, il a consisté à pourchasser les traîne-savates de l’arrière-garde arabe à leur passage dans la région Midi-Pyrénées. Un fait d’armes glorieux qui relève davantage de la gloriole. Rendons donc grâce néanmoins au Prince Abdel Rahman, le chef des troupes arabes, d’avoir donné prétexte à Poitiers, et à Charles Martel, le Maître de céans, de forger la conscience française et son identité nationale, sur la base d’un anti-arabisme primaire. Sans se douter que treize siècles plus tard, les Arabes voleront au secours de la France – à deux reprises au cours du XXe siècle, fait unique dans l’histoire – pour préserver son intégrité, sa souveraineté et sa dignité, sans qu’il soit question à l’époque de seuil de tolérance, de charters de la honte ou d’aspersion nauséabonde, mais de sang à verser à profusion.
Treize siècles après, que reste-t-il de ce fait d’armes ? Poitiers est devenu un haut lieu du tourisme, grâce à la reconstitution du site du champ de bataille, sa vie universitaire menacée par un nouveau barbare, Jean Pierre Raffarin, l’ancien premier ministre centriste, artisan des délocalisations universitaires vers sa bourgade de Chasseneuil-du-Poitou, Charles Martel, une marque de bière, très prisée par les soiffards du Front National, 732, un éphémère code secret de l’attaché-case de Bruno Gollnisch, l’éternel postulant au magistère de la formation d’extrême-droite. Dérisoire ambition, s’il en est, au regard de la légende, de l’histoire, et, surtout de la passion que ce fait a suscité dans l’imaginaire français. Et aux côtés de la superbe cathédrale de Poitiers, dans l’enceinte même de ce qui devait être le périmètre de défense de la cité, se dresse désormais une superbe Mosquée, préfiguration sans doute de la convivialité islamo-chrétienne et franco-arabe. Au grand dam de Brigitte Bardot et des nostalgiques de l’Empire français. Tout cela pour cela ?
La France baigne dans son legs colonial, sans toutefois vouloir l’admettre, sans peut-être s’en rendre compte. Ses villes et villages en portent l’empreinte et sa langue en est imprégnée, à l’insu des Français, d’une manière impensée.
Très peu savent que Ramatuelle, rieuse bourgade du sud de la France, tire son origine d’une action de grâce des migrants infidèles arrivant à bon port, invoquant la miséricorde de Dieu (Rahmatou Llah), Carcassonne, d’une reine arabe (Karkachouna). Que la France communique avec l’extérieur par le truchement (tourjoumane, interprète) de ses diplomates. Que les Field Medal décernés à ses mathématiciens résultent de leur maîtrise de l’Algèbre et du Logarithme (al jabr, al khawarizmi), que les grades de l’armée française empruntent à l’ordonnancement arabe de l’Amiral (Amir al Bahr, le seigneur des mers), au capitaine (Al Qabda-la poigne et par extension Qobtane, l’homme qui assure la maîtrise). Que le meilleur coup de colère, enfin, n’est jamais mieux exprimé que dans le langage du bled (al bilad, le pays), surtout lorsqu’on vous casse les glaouis, suscitant, en retour, une envie de les niquer, sans doute le terme le plus usité de la langue française, devant les exorbitants droits de douanes (diwan, canapé installé à l’entrée des villes pour prélever les taxes), dont on aimerait être exonéré, de même que les honoraires du psychanalyste après passage sur son divan, sauf à recourir à l’alcool (al kouhoul) pour soigner les blessures du corps, de même que les blessures du cœur, à moins d’y célébrer l’alchimie (al kimia’) de la belle symbiose linguistique franco-arabe.
La France a un sérieux problème de mémoire, dont elle veut se jouer, en occultant ses aspects hideux, qui se jouent finalement d’elle. Des embardées répétitives comme autant de remugles mal digérés de l’histoire tourmentée de ce pays, qui expliquent les dérives du débat public en France. Le seul pays qui soit traversé périodiquement par le débat sur l’identité nationale, signe patent d’une pathologie mémorielle.

Pour lire la suite : http://www.renenaba.com/la-controverse-de-poitiers-1-2/


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