vendredi 14 novembre 2014

14 novembre 2014 : inventer sa vie


nous avons tous besoin de gens qui sortent des chemins battus, qui vivent leur vie à peu près comme bon leur semble et qui s'inscrivent en faux contre la normalité conformiste et étriquée – à partir du moment où cela n'entrave que très peu la liberté des autres. Nous avons besoin d'hommes et de femmes excentriques, fantaisistes et farfelus pour nous rappeler que nous pouvons vivre, penser et sentir différemment, que la vie que nous menons n'est pas la seule possible.

(Björn Larsson, Besoin de liberté, Seuil, 2006)



J'ai conscience de me comporter moi aussi de manière un peu excentrique, voire farfelue, comme le signale Björn Larsson dans son livre magistral cité ci-dessus (et écrit directement en français, s'il vous plaît). Je reviens en effet d'un de mes vagabondages usuels : il est rare que je reste un mois sans partir, sans « mourir un peu » donc. Je ne compte plus les nombreux déménagements de ma vie d'adulte – il est vrai que ma vie d'enfant était déjà comme ça, que ma grande admiration de l'époque allait aux bohémiens, aux gitans, à ceux que je voyais courir les routes, avec leurs chevaux et leurs roulottes, et à ce qui me semblait une liberté merveilleuse, celle des héros de Sans famille. Inversement, j'ai toujours éprouvé – et ça s'aggrave au fil du temps – une aversion contre ce que Larsson appelle la "normalité conformiste et étriquée". Et donc contre ceux qui suivent ces normes dictées par la mode et la satisfaction béate de vouloir être et faire comme les autres.

Deux documentaires récents me montrent le meilleur de l'humanité : Les ondes de Robert et Anaïs s'en va-t-en guerre. Je ne dis pas que les « héros » de ces films sont des saints ni des modèles, ni qu'ils sont exempts de défauts. Mais ils ont une qualité, essentielle à mes yeux : ils inventent leur vie. Ce qui veut dire qu'ils vivent dans la difficulté de se heurter au conformisme ambiant, parfois dans la précarité et le doute, mais qu'ils sont libres. Et je les admire.

Robert, je le connais personnellement depuis 1976. Je l'ai découvert faisant du stop sur le bord de la route, entre Toulouse et Auch, il est monté à bord, on a sympathisé. Ce tout jeune homme allait faire dans une ferme gersoise son apprentissage de berger. Je l'ai fait manger, on a discuté de la vie et de la société, du travail et des livres, de la beauté et de la tristesse, bref je l'ai hébergé pour la nuit, et le lendemain matin, fait un détour pour l'amener dans sa ferme. On ne s'est jamais perdu de vue, je le revois de temps en temps (je suis passé chez lui lors de ma cyclo-lecture de 2008, cf mon blog, aux pages des 13 et 14 avril 2008) et, la dernière fois, je savais qu'on tournait un film sur lui. 



Le film est fini (on peut commander le dvd à : http://www.docks66.com/en-distribution/les-ondes-de-robert/). Robert, le berger magnifique, a choisi de vivre dans des cabanes surprenantes, tout en bois, et construites de ses mains. Sa vie se fonde sur l'essentiel, le respect de la nature et de son petit troupeau de chèvres, auxquelles il a joint des lamas (moment savoureux du film quand il dit : « Y en a qui ont une piscine, moi, j'ai mes lamas ! Y en a qui ont une voiture décapotable, moi, j'ai mes lamas ! »), à la suite d'un voyage au Pérou. Il aime les gens, le contact, le rythme des saisons, et par-dessus tout la liberté. Il pourrait faire sienne une autre des phrases que j'ai relevée dans Besoin de liberté : "Je n'ai pas de vocation d'ermite ou de moine, même si certaines de mes connaissances voudraient le croire et l'ont cru. Je me réserve seulement le droit de choisir ma compagnie. Je ne vois pas où est le mal." Il nous force à nous demander ce qui compte réellement : notre frénésie de consommation, destructrice non seulement de la nature, mais aussi du sens de l'humanité et de la solidarité, ou la sobriété de vie, respectueuse du cosmos ?



Anaïs, elle, jeune femme de vingt-quatre ans, se lance dans la culture des plantes aromatiques. Marion Gervais, la réalisatrice, la suit pas à pas, en train de défricher, de sentir les plantes (l'odorat, tellement oublié aujourd'hui, est essentiel), de se battre pour obtenir des terres à cultiver, et nous montre une jeune femme déterminée, fondamentalement libre, comme Robert, et qui pourrait, qui devrait faire rêver les lycéens agricoles, aussi bien que les prisonnières de la prison de femmes de Rennes (où elle est allée présenter son film), tant la volonté tenace, la force de caractère d'Anaïs démontrent une autre phrase de Björn Larsson : "Pour être libre, il faut être à la fois réaliste, ancré dans le monde réel, et rêveur, pour ne pas être la victime involontaire du monde réel", ce que sont en fin de compte les prisonnières, aussi bien que ceux et celles qui sont fascinés par la société de consommation et par le Veau d'or. J'ai eu la chance de voir ce documentaire lors de mon passage en Bretagne (merci, Christine, de m'y avoir emmené !). Et de découvrir en Anaïs une émule de Robert, aussi bien que de Hadrien Rabouin, dont je vous ai déjà parlé (cf 16 février 2012).

Besoin de liberté, un livre exceptionnel, Les ondes de Robert et Anaïs s'en va-t-en guerre, deux films documentaires qui en sont l'illustration presque parfaite. Inventer sa vie, n'est-ce pas un beau programme, plutôt que de se couler dans des moules qui ne nous conviennent pas ?

Aucun commentaire: