Épatant,
le cinéma, comme narcotique. Le cinéma, le grand bazar de
l'hébétude, la chaude boutique du rêve tout fait, tout cuit,
démocratique et standard. Il n'y avait qu'à s'asseoir, à être là,
à ouvrir les yeux. À être un homme de la foule, consentant,
passif, soumis à la frénésie mécanique des images, livré aux
spectres, sans passé et sans avenir.
(Georges
Hyvernaud, La peau et les os, Éd. Du Scorpion, 1949)
Soir
de match.
J'ai fait mon devoir, j'ai regardé plusieurs matches de
cette Coupe du monde, avec l'équipe de France. J'avais pronostiqué,
dès le premier, qu'ils n'iraient pas loin après les qualifications.
Ils ont quand même réussi à aller en quart où, sans jouer plus
mal que les Allemands (mais pas mieux non plus), ils ont échoué.
Fermons le ban. Je ne suis pas assez drogué (je le suis à la
littérature, à la poésie, à l'opéra, au cinéma, au vélo,
chacun son truc) pour continuer à regarder. Car après la
télé-football-coupe du monde, il y aura la télé-Tour de France,
puis la télé-Jeux olympiques, la télé-tournois de tennis, etc. etc... Les nouvelles
grands-messes devant lesquelles la foule communie, et oublie que le
monde va mal.
Le
nouvel opium du peuple en somme, que condamnerait Marx s'il revenait,
étonné de voir les églises quasiment vides. Mais un penseur
de cette taille ferait-il le poids aujourd'hui, en face des amuseurs publics, vedettes et stars
qui remplacent les prédicateurs d'antan, et transforment même l'actualité et l'information en guignolade. Même le pape se croit
obligé de parader dans les étranges lucarnes, où pourtant Dieu
n'est pas apparu, que je sache. Le propre de l'opium, c'est
d'endormir, de faire oublier.
Et
je dois dire que, contrairement à ce pensait Marx, le capitalisme a
su admirablement rebondir, et tourner à son avantage toutes les
techniques et technologies modernes, et endormir le peuple, avec la
complicité des gouvernants (Valls et Hollande en ce moment). C'est
ainsi qu'on finit par avaler les pilules amères de la
mondialisation, de la marchandisation de tout, du fric-roi, de la
précarité généralisée, du patient détricotage de tous les
acquis sociaux issus de la Résistance (la sécurité sociale
va-t-elle résister encore longtemps ?)... Résultat, par certains côtés, on revient au grand galop au XIXe siècle, et Victor Hugo pourrait sans peine récrire ses Nouveaux "Misérables".
Pour
avaler tout ça, pour oublier tout ça, rien de tel que d'être
hypnotisé par les grands événements sportifs devant son écran
personnel, et finir par se désintéresser de soi-même, de la marche
du monde et de l'avenir. C'est parfaitement réussi. Je tire mon
chapeau. Et je ne critique pas tous ceux qui sont victimes de cet
opium : j'en suis aussi. Je crois pourtant qu'il est nécessaire
d'y résister. De ne pas admirer béatement, aduler, adorer, vénérer, idolâtrer ces
prétendues stars.
Tout de même, quand au Moyen âge, on admirait un François
d'Assise, c'était autre chose, non ?
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