J'ai
toujours été impressionnée, dans la rue, en croisant des passants,
de penser que chacun est le centre d'un univers et que ses
préoccupations l'emportent sur tout ce qui se passe dans le monde.
(Georges
Simenon, Novembre, Presses de la Cité, 1969)
J'avoue
que je reste un peu muet en ce moment. Il y a des jours comme ça.
Sans être isolé comme Marthe, la cousine de ma mère que j'ai visitée il y a peu (94 ans), il y
a pourtant des jours où je n'ai pas envie de sortir, où même
quitter mon lit me semble une grosse épreuve ; je pesais des
tonnes ce matin, alors même que j'avais dormi plus de neuf heures
(ou bien à cause de ça ?). J'ai fait trop de voiture ces
temps-ci, une vraie overdose : Jean-Jacques Rousseau ne remarquait-il pas que dès
qu'il prenait une voiture, il ne sentait plus "que le besoin d'arriver",
alors qu'à pied, il ne sentait "que
le plaisir d'aller".
Au fond, il me tarde de partir pour tenter de retrouver dans ma prochaine randonnée cycliste, en solo, de Bordeaux à Sète, puis Bédarieux,
Mazamet, Villefranche-de-Rouergue, et Nailhac, quelques sensations
enfouies de ma jeunesse. Et surtout celle de la lenteur, car aussi
bien le long des canaux (latéral à la Garonne, canal du Midi) que sur les contreforts du sud du Massif central, je ne risque pas de
me presser.
À
moi d'essayer de reprendre racine. De refuser l'utilitarisme de la
vitesse, d'ignorer le bruit permanent qui nous cerne (ah ! cette
agressivité des moteurs, encore ces derniers temps à La
Rochelle !). De renouer avec la flânerie, cette sorte
d'oisiveté qui fait du bien. Et attention, ce n'est pourtant pas
être passif : d'abord, il y a le corps en mouvement, le cerveau
bien oxygéné, l'esprit en éveil, l’œil qui observe, le
sentiment d'être (au contraire du faire), et en fin de
compte, le retour aux joies pures de l'enfance. À son apparence
inutile, loin de toute productivité, quand on regardait à terre, qu'on
empochait un caillou ou une brindille, qu'on s'amusait d'un simple
rayon de soleil ou d'un reflet dans l'eau. Sans écran entre le ciel
et soi, planté dans la terre, délesté du poids des soucis
ordinaires, vacant.
Comme
les voyageurs de Compostelle, c'est une chose que j'aime faire seul,
car je dois aller à mon allure, qui n'est pas celle d'un autre.
J'apprécierai le silence, toujours, les rencontres, s'il se peut. Je n'exclus
pas de dormir à la belle étoile pour vérifier si les "étoiles
au ciel" ont bien le "doux frou-frou" que signalait Rimbaud.
J'emporterai le minimum d'effets, car il faut voyager léger, éviter
tout ce qui nous encombre : toute la machinerie contemporaine en
particulier. J'en excepte le vélo. Mais lui, c'est un ami, un
porteur aussi et à mon âge, même si je suis d'un faible poids,
j'apprécie d'être dessus. Et la liseuse, qui m'évitera de
trimballer trop de bouquins. Un carnet aussi, pour prendre des notes,
et lire le grand livre de la nature. Et écrire celui de l'amitié,
avec les personnes que je visiterai.
Mais
"Rien ne se passe jamais
comme on croit",
écrivait Georges Hyvernaud, dans son extraordinaire livre de retour
des camps La peau et les os (Éd. Du Scorpion, 1949). Donc on
verra...
Peut-être un compte rendu agrémenté de photos (ou de
poèmes ?) à mon retour, en août, vers le 10...
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