La
véritable mort d'une société, ce n'est pas la disparition de la
science, c'est celle de l'écrit. Il faut entendre par là l'écrit
pour rien, pour dire, pour tous, pour personne, sans incidence
pratique aucune, sans raison d'être que celle de sa propre
existence.
(Marguerite
Duras, Pour une nouvelle
économie de la création,
1985, in Le monde
extérieur : outside 2,
POL, 1993)
Petit
codicille à ce que j'ai écrit hier, puis je vous fous la paix
jusqu'à l'achèvement de mon travail d'écriture. J'ai pu laisser croire, par le
titre d'hier, Durassitude,
que j'étais fatigué de mes lectures. Ce n'est pas du tout le cas :
au contraire, plus j'avance, plus je découvre des beautés
nouvelles, dans l'écriture, dans les thématiques, dans les
silences... Car Marguerite Duras, qui a beaucoup parlé, se révèle
étonnamment économe dans son écriture, pleine de silences qui
laissent le lecteur travailler lui aussi. Je dirai que c'est même à
ça qu'on reconnaît un grand écrivain : il ne donne pas du
tout cuit, il laisse de la marge, des avancées, des surprises, des
questionnements, au lecteur.
Et
comme je suis allé voir hier au soir la magnifique adaptation théâtrale,
réalisée par Maud Andrieux, de La
douleur, un des plus
beaux récits de Duras, celui où elle raconte son attente en 1945 du retour de son mari, Robert Antelme, des camps de la mort (cf
mon post du 9 mai 2011 sur le livre de ce dernier, L'espèce
humaine). Ce samedi 24
mai, on était dans la vraie vie, et aussi dans ce qu'il faut appeler une
performance, au sens artistique du terme : je n'avais jusqu'à
présent vu un acteur seul porteur d'un texte que pour Julien Gracq
(Un balcon en forêt,
joué par Éric
Chartier au théâtre de l'île Saint-Louis, à Paris, il y a deux
ans) et Mme de La Fayette (La
princesse de Clèves,
jouée par Marcel Bozonnet, à Poitiers, il y a une dizaine
d'années). C'était fabuleux dans les deux cas.
Ici,
Maud Andrieux joue avec sobriété ce texte magnifique qu'elle a fort
bien adapté et découpé. J'ai relevé cette phrase de Robert
Antelme qui, sauvé de justesse, a le pouvoir de « n'accuser
personne, aucun peuple, aucune race, sauf les gouvernements qui ne sont
que de passage » (de mémoire). Belle leçon de sagesse et de vie ! Que, bien entendu, aucun gouvernement n'a retenu. Il est vrai que nos gouvernants sont incultes...
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