lundi 5 mars 2012

5 mars 2012 : Tanger !

Ne demande pas si ce qui arrive arrive comme tu le désires. Désire plutôt que les choses arrivent comme elles arrivent. Et tu seras heureux.
(Manuel d'Épictète)

Bien arrivé à Tanger. Le départ de Bordeaux s'est fait avec une heure de retard. Beaucoup aimé le voyage en car et ses multiples arrêts, et n'ai nullement eu le dos cassé, comme le craignait Lucile. J'ai même dormi comme un loir (moi qui dors si mal dans mon lit, c'est un comble !), et même redormi en sus à deux ou trois reprises dans la journée en traversant l'Espagne, entre Madrid, qu'on a contourné (comme d'ailleurs toutes les autres villes, nous sommes passés non loin de Grenade, au pied de la Sierra Nevada couronnée de neiges, puis de Malaga), et Algeciras. J'ai trouvé le temps de lire, car sur ces autoroutes, le paysage est assez peu passionnant à regarder, l'excellent roman de Driss Chraïbi, très bon écrivain marocain, L'inspecteur Ali. Le car était essentiellement rempli de Marocains, principalement des retraités âgés qui, comme moi, n'aiment plus faire de longues distances en voiture et préfèrent se laisser conduire. Quelques jeunes aussi. Et cinq ou six Français, dont un habitant au Maroc définitivement, et un autre allant rencontrer une hypothétique fiancée marocaine. Discussions avec les uns ou les autres dans le bus ou aux arrêts (toutes les deux heures environ). L'embarquement dans le ferry a donné lieu à une longue attente debout dans la « portogare », qui fut suivie d'une deuxième attente debout dans le ferry pour se faire tamponner le passeport par un policier au zèle peu vif. Résultat, j'ai à peine eu le temps de monter sur le pont pour respirer le vent et l'air maritimes, et me donner un peu l'impression d'avoir été presque sur un cargo ! Car la nuit tombait déjà.

Arrivés à Tanger, nous découvrons que le nouveau port est à 45 km de la ville, et que les cars doivent franchir la douane. Résultat : une heure et demie d'attente. Pour moi qui avais très bien dormi, et qui ne mégotes pas sur le temps (me rappelant le dicton marocain : « Si t'es pressé, t'es mort »), j'ai supporté sans douleur cette nouvelle attente. Mais une fois franchie la barrière, deux km plus loin, nouvel arrêt : cette fois, transfert dans d'autres cars, un qui va vers Rabat et Casablanca (et accessoirement arrêt à la gare routière de Tanger, donc bon pour moi), l'autre qui emmène ses passagers à Fès, Meknès et Marrakech. Une passagère me dit qu'après elle prend un autre autocar pour Agadir. Quand on pense que tous ces trajets peuvent se faire en trois heures, et que là, elle va mettre deux jours complets ! On se console comme on peut en se disant qu'ainsi, on ne se déplace pas, on voyage. Et que de rencontres possibles !



Quoiqu'il en soit, toutes ces attentes nous ont mis fort en retard : j'étais censé arriver à Tanger vers 20 h, à cette heure-là, on poireautait encore derrière la barrière douanière. Changement de car : faut sortir les bagages (les retrouver d'abord), ne pas se gourer de car, et on se retrouve à une petite quinzaine dans celui qui va s'arrêter à Tanger. Le fiancé, G., est bien marri. Il devait prendre le train à 21 h 30 et voyager de nuit pour Oujda, où se trouve la jeune femme. Bien entendu, nous n'arrivons à Tanger qu'à 22 h 30, je lui ai proposé de partager ma chambre d'hôtel (j'y suis seul, et il y a deux lits) pour qu'il dorme un peu et puisse se doucher après 25 h de voyage. Heureusement que j'avais fait mes réservations avant de partir : aucun problème pour partager la chambre. G. me raconte son histoire qui pourrait donner naissance à un début de roman. Quoiqu'il en soit, le commencement d'un amour, c'est toujours romanesque, et je ne peux m'empêcher de demander comment s'est fait leur rencontre : par internet !

Et ce matin, je l'accompagne à la gare. Son train ne partant qu'à 10 h 40, nous prenons un taxi qui nous fait faire un grand tour de ville, s'arrête au grand Socco (et je pense au livre éponyme de Joseph Kessel), la place qui jouxte la médina, il nous emmène jusqu'au Cap Spartel et aux grottes d'Hercule, à une quinzaine de km à l'ouest, sur la côte atlantique. Je prends quelques photos, mais l'appareil donne des signes de faiblesse, je crois que la batterie (que j'ai pourtant rechargée avant le départ), ne vaut plus rien. Nous laissons G. à la gare, il n'arrivera à Oujda qu'à 21 h, le train n'étant pas plus rapide que les cars et faisant de longs détours !

Et je rentre à l'hôtel, me promettant de me balader exclusivement à pied pour visiter Tanger. Je vais peut-être louer les services d'un guide officiel. On verra. Mais je maudis mon guide du Petit fûté, pourtant tout récent, dont les plans ne correspondent pas du tout à la réalité. Heureusement que le centre ville n'est pas extraordinairement grand. Je compte traîner mes guêtres dans la médina, au musée de la Casbah, aller dans une librairie célèbre (avec tous les écrivains qui ont transité par Tanger, il n'est pas de ville plus littéraire, et le guide m'apprend que Tahar Ben Jelloun, le prix Goncourt marocain, y habiterait), voir le programme de la Cinémathèque renommée de Tanger, et découvrir les restaurants et cafés signalés dans le guide, me promener aussi dans les jardins, en évitant de me faire harceler par les pseudo-guides qui pullulent. Il y un hammam dans l'hôtel, peut-être aussi vais-je en profiter ?

Et méditer sur ce texte que j'ai trouvé dans le livre de Chraïbi : "se peut-il qu'on quitte un jour sa terre natale, et puis... et puis que l'on y revienne tranquillement, fastueusement comme en vacances, comme si rien ne s'y était passé durant ta longue absence, comme si elle n'avait pas eu besoin de toi ?" Pour moi qui reviens vivre à Bordeaux après 43 ans d'absence, cette phrase me parle. Et inversement F., une des passagères du car, 79 ans, vient passer ici un mois dans une maison de retraite, à titre d'essai, et si ça lui plaît, elle viendra définitivement s'y installer : pour 500 euros par mois en pension complète, elle disposera d'une chambre immense (au moins deux fois celles d'en France), d'un magnifique jardin (on sait combien les jardins sont beaux ici), et à 1 km à pied du centre ville et de la médina. Évidemment, il faut accepter de s'expatrier définitivement. Mais F., qui vit à Lyon, me dit qu'elle ne supporte plus le froid hivernal !


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