Lady Cynthia : « - Les animaux sont la seule excuse de Dieu sur la terre. »
(Joseph Kessel, Au Grand Socco)
Reconnaissons-le, il est des êtres humains qui nous réconcilient avec la vie, et grâce à qui nous nous sentons meilleurs. Ils dégagent une aura, une chaleur, une force de conviction, une tendresse, une espérance, qui font mentir l'excentrique Lady Cynthia de Kessel : admettons l'existence de Dieu, ce que la puissance du Mal ne cesse de démentir en apparence, et avouons que quelques individus excusent aussi l'imperfection de la Création.
Celui que j'ai nommé le « regretté Pierre Sansot » dans mon Journal d'un lecteur fait partie de ces excuses de Dieu. Cet universitaire atypique, sociologue, anthropologue, s'est intéressé aux choses de la vie quotidienne et aux gens ordinaires (ces « âmes petites » que Véronique Joyaux magnifie dans son récent recueil de poèmes) pour en révéler les valeurs et le sens possible de la vie.
Dans J'ai renoncé à vous séduire (éd. Desclée de Brouwer), titre qui m'a évidemment attiré, il nous donne des variations sur le double thème de la séduction et du renoncement. Des variations, oui, au sens musical du mot. Je me suis retrouvé – et je pense que chacun se retrouve – dans des phrases telles que celles-ci : "La plupart de nos renoncements s'expliquent mal et nous inventons après coup des raisons pour les justifier" ou "Mais ai-je véritablement renoncé ? N'ai-je pas plutôt perdu mon pouvoir de séduction ?" Bien qu'il soit écrit à la première personne, le texte se présente comme une suite de courtes fictions – où l'auteur a mis sans doute beaucoup de lui-même – et de réflexions.
"Adolescent, puis adulte prudent, je me félicitais de ne pas souffrir. Je ne voulais pas savoir que l'existence n'est pas seulement bonheur, mais qu'elle est aussi douleur, affrontement". Et elle l'est en particulier quand on entre dans la séduction : on peut d'ailleurs se demander si cet état de séduction cesse à un moment ou à un autre. Le jeunisme effréné de notre civilisation (publicité, magazines masculins ou féminins, sports) joue essentiellement là-dessus. Or, nous rappelle l'auteur, "C'est dans le domaine de l'affectif, du spirituel, que nous nous montrons aveugles, manchots". Réflexion on ne peut plus juste aussi. Je ne sais pas s'il y a eu une période où la société était différente. Le fait que j'ai quand même fait des études assez poussées d'histoire m'incite à penser que non. L'humanité n'a guère changé et nous préférons jouer ces rôles (tenter de séduire, physiquement, intellectuellement, moralement) pour lesquels nous ne sommes pas tous faits également, et en oubliant souvent l'idéal : "Être tout simplement quelqu'un de bien, et c'est déjà beaucoup. Ne pas chercher l'exploit, l'exceptionnel, le grandiose, devenir une personne sur laquelle on peut compter". Ce qui est rare quand on joue au Don Juan !
Pierre Sansot nous rappelle aussi que les individus ne devraient pas rater "l'occasion de revenir à eux-mêmes, à la solitude, aux abîmes infinis de la solitude". Là, en effet, il ne reste plus que soi-même à séduire ! Il raille ceux qui ont "le culot de raconter que la mort leur avait dérobé l'unique, l'irremplaçable amour de leur vie [alors même que] déjà ils tentaient de le remplacer par un autre amour, unique, irremplaçable". Et il conclut sur un vibrant éloge de la tendresse, antidote à la séduction, qui est tout de même égoïsme souvent, volonté de domination arrogante toujours (comme on le voit avec les hommes politiques ou certains acteurs), violence parfois.
C'est peut-être cela, l'excuse de Dieu, que nous soyons – aussi – capables de tendresse.
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