Mais c'est une ville qui a peur. Les riches s'enferment chez eux de peur que les pauvres ne leur demandent des comptes. Les pauvres s'enferment chez eux parce qu'ils n'ont nulle part où aller.
(Lyonel Trouillot, Éloge de la contemplation)
Disons-le tout net, je n'ai jamais beaucoup apprécié Marie-Antoinette, en dépit des romans de Dumas (Le collier de la reine, en particulier, ou Le chevalier de Maison Rouge, où elle ne sert que d'argument pour un complot visant à la délivrer) et surtout de la biographie (excellente) de Stefan Zweig, qui a tenté de la réhabiliter. Et ce n'est pas le film de Benoît Jacquot, Les adieux à la reine, qui va la rehausser à mes yeux, car le personnage ici présenté est effectivement frivole, et on la voit par ailleurs préparer un départ pour Metz, d'où elle reviendrait avec des troupes pour mater les Parisiens.
Ceci étant dit, on voit bien ici que la cour de Versailles, à l'atmosphère lourde et étouffante (les aristocrates y logent dans l'espoir d'apercevoir le Roi alors qu'ils pourraient vivre dans leurs terres, ainsi le vieux marquis de Vaucouleurs), était un endroit assez sinistre, où les préoccupations populaires n'étaient guère prises en compte. Or, tout se passe en trois journées, du 14 au 16 juillet 1789. Dès que la nouvelle de la prise de la Bastille est connue, dans la nuit du 14 au 15 (où l'on réveille le Roi), les nobles sont désorientés, devenant des fantômes hagards dans les galeries du palais. Seul Louis XVI garde un relatif sang-froid, reconnaissant pourtant qu'il n'était pas fait pour être au pouvoir.
Marie-Antoinette est ici vue de biais, par les nombreuses femmes à son service, de Madame Campan, sa dame d'honneur (merveilleuse Noémie Lvovsky) à Sidonie, sa liseuse, Alice ou Louison, qui toutes sont contaminées par l'effondrement des valeurs que le château de Versailles présente à leurs yeux. Et à nos yeux aussi, quand on compare le lustre et les dorures des appartements royaux à la grisaille et à la saleté des logements des innombrables domestiques. Sidonie, toute jeune fille, la seule peut-être à avoir conservé une certaine innocence (« Tu vieilliras vieille fille », lui prédisent ses amies) découvre avec effarement le corps dénudé de Madame de Polignac que la reine l'a chargée d'aller chercher, et qui dort, abrutie par l'opium. Elle est tout aussi subjuguée par la scène où la reine, devant toute la cour, étreint la Polignac (je savais que Marie-Antoinette avait des favorites, mais j'ignorais encore qu'elle était aussi capable d'une attirance violente pour le corps féminin, les scènes sont très explicites et bellement filmées). Amour d'ailleurs qui semble assez mal partagé, et Madame de Polignac, quand la reine lui enjoint de quitter Versailles pour la Suisse, le fait avec un détachement évident, que seul vient contrarier le fait de devoir se déguiser en domestiques, elle et son mari, pour ne pas être reconnus et écharpés par la foule. Et c'est la malheureuse Sidonie qui doit les accompagner et reprend la robe de la Polignac endossant – littéralement – son rôle pour sauver ce qui peut être sauvé.
Sidonie aurait aimé rester auprès de sa reine, qu'elle aime aussi à sa façon. Elle repousse gentiment les avances du jeune gondolier (faussement vénitien, mais tout n'est-il pas faux dans cette cour des apparences?). Et pourtant la reine, non seulement n'a pas pour elle beaucoup d'égards, mais elle la condamne presque (certes avec son consentement, car que ne ferait pas Sidonie pour sa reine?) en lui enjoignant de partir avec les Polignac en endossant la défroque de cette dernière. Marie-Antoinette remarque à peine le petit dahlia que Sidonie a brodé. On donne tout aux grands de ce monde, il ne faut rien en attendre, semble être la morale politique de ce film où la violence est souterraine, mais partout perceptible : aussi bien dans les plans qui précèdent le générique, où l'on voit délogés sans ménagement des gueux qui campaient sous les grilles du palais, que dans les nombreuses séquences dans le château, où la panique est réelle.
Sidonie conclut : « bientôt je ne serai plus rien. » Et, ajouterai-je, la reine non plus, malgré ses grands airs. Un très beau film. Et, malgré les apparences, un film très contemporain : un gouffre continue à séparer le peuple de ses gouvernants, aussi arrogants et insouciants qu'à l'époque, et aussi peu à l'écoute.
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