vendredi 4 juin 2010

3 juin 2010 : en suivant la Loue


Il n'avait plus de goût à ces déplacements inutiles, où se complait l'oisiveté fiévreuse d'aujourd'hui.(Romain Rolland, Jean-Christophe, La nouvelle journée)


Je quitte Levier de bon matin, il est à peine huit heures. Adieu, chalet tout de bois, Hélène, Astrid, je m’envole maintenant vers la source de la Loue. Le paysage est grandiose, ça monte, ça descend aussi, un immense bâtiment dégage une odeur nauséabonde : porcherie industrielle ? Ce ne serait pas impossible, vu les cochonnailles variées de la charcuterie locale. Je m’arrête dans un coin de forêt où une table est à disposition, histoire de mettre un peu à jour mon journal en vue du blog. Quel calme, je suis immergé dans la verdure et les rondeurs jurassiennes ! Oui, on va dire ici que le paysage est féminin, en plis et replis, rondeurs et mouillures, fraîcheur et tendresse...

À la sortie de Ouhans, je m’engage à gauche sur la petite route qui mène à la source de la Loue, la fameuse résurgence que j’avais vue du ciel il y a huit jours. Au parking, il reste encore 600 m, je continue avec le vélo, ne voulant pas le laisser seul : si on me fauchait Pégase ? D’ailleurs, le chemin est bétonné, quoique par moments en pente très raide. Je finis en poussant le vélo, puis à pied, avec l’appareil photo pour immortaliser la grotte d’où jaillissent impétueusement les eaux bleutées de la Loue, en fin de compte pas si pures que ça. Rivière qui avait la réputation d’être propre et poissonneuse, et qui semble en difficulté aujourd’hui. Un article de l’Est républicain m’a alerté à ce sujet. En tout cas, ici, ça a l’air cristallin, et le bruit de la cascade de l'eau semblant surgie de nulle part, et qui rebondit une deuxième fois, rend un son féminin, comme une ondine d'opéra.

La résurgence de la Loue

Je remonte difficilement, des refuges sont indiqués en cas d’inondation brusque, de montée des eaux due à un orage, il est vrai que sur ce chemin bétonné ça doit dévaler. D’Ouhans, je monte encore jusqu’à La Main, carrefour stratégique au pied du Mont Pelé (1045 m). Et puis, c’est la descente fantastique jusqu’à Mouthier-Haute-Pierre, six kilomètres à tombeau ouvert. Je m’arrête à un belvédère pour regarder les gorges de la Noue (de Nouailles selon la carte), devenue invisible sous l’écrin forestier. Après, ça continue en pente très douce, sans pédalage, on n’avance pas. Les villages sont très jolis : Lods, Vuillafans, où je mange, puis téléphone d‘une cabine à ma future hôtesse d‘Ornans.

Enfin, Ornans, patrie de Courbet (même la route s’appelait la route Courbet), encore un de ces anarcho-révolutionnaires ou utopistes dont la Franche-Comté est si prodigue : Proudhon, Fourier, Bonnot même. Une vraie petite ville, toute en longueur sur les deux rives de la Loue, qui l’inonde périodiquement, avec de beaux hôtels particuliers et de belles maisons donnant sur la Loue, avec des bacons surplombant la rivière.

Vue d'Ornans, de la passerelle menant à la bibliothèque

Je vois des photos de l’inondation terrible de 1953 à la Bibliothèque municipale, que Françoise me fait visiter. Il y a en ce moment une exposition sur la couleur rouge. Extraordinaire. Je suis stupéfait, depuis que je suis dans le Doubs, par la façon dont les bibliothécaires, les professionnels comme les bénévoles, ont revivifié ces cimetières de livres qu’ont trop longtemps été les bibliothèques. Ici, c’est flagrant : chacun apporte sa touche, se sent responsable, se bat pour la culture. Chapeau ! Par comparaison, j’ai l’impression de n’avoir pas fait grand-chose dans ma carrière professionnelle…

Paulette me reçoit dans son immense maison ; son mari, vétérinaire à la retraite, travaille le jardin, où il distribue généreusement du purin d’ortie aux plants de tomates. Il y a des livres partout, comme chez tous mes hôtes précédents : privilège des pays frisquets, le livre est roi. Quand Françoise arrive, nous nous mettons à table autour d’un roumazava, spécialité malgache, à base de viande bouille (ici du porc) avec des brèdes mafane, plante un peu picotante, que Paulette et son mari ont acclimatée ici ; ma foi, servi avec du riz et un rougail de tomate, c'est plus qu'agréable, délicieux. Il semble que mon blog signalant que j'avais mangé x fois de suite de la saucisse de Morteau ait été très lu, car on m'en parle en se moquant - gentiment - de moi.

Et puis nous rejoignons la bibliothèque pour mon avant-dernière lecture, où j’ai la surprise de voir arriver Jeanne-Marie, accompagnée de l'incontournable Christian et d’un autre ami, Jean-Louis. Je lis en particulier, à destination de la bibliothécaire, une nouvelle de Flannery O’Connor. Dans la nuit tombée, je rentre à vélo, aussi téméraire ou aventureux que dans mon jeune âge, courant après les nuages (profitons-en, il paraît qu’il n’y en aura plus demain !), dégommant les étoiles et le dernier quartier de lune, balbutiant dans la nuit rêvée : que peut-il donc bien m’arriver ?

L'enseigne de la bibliothèque d'Ornans

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