Je me réveille frais et dispos... J’ai encore mille vérifications à faire avant de partir, tout à l’heure, vers midi. J’ai mon billet de train pour Niort, 12 h 57. Je révise mon sac : ai-je bien tout ? Pyjama, trousse de toilette, linge de rechange, lunettes blanches (vu le soleil qu’il fait, je circulerai à vélo avec mes lunettes de soleil), vêtements de pluie – on ne sait jamais – coupe-vent, le béret destiné à recueillir des fonds à la fin de mes animations, faire la manche en quelque sorte, le petit carnet qu’on m’a offert pour Noël et qui servira de livre d’or, et bien sûr le costume de scène, en fait un pantalon et une chemisette (Claire m’a aidé à choisir quelque chose d’assorti) ; sans oublier surtout mes textes à lire, que je compte réviser dans le train. Ne pas oublier non plus ma ceinture avec mes papiers, ma carte senior et les billets SNCF, et enfin le téléphone portable, devenu incontournable ( ?... Ça fait à peine deux mois que je sais m’en servir). Le sac enfin prêt est chargé dans le panier arrière du vélo. J’y rajoute une grande gourde d’un litre, plus une petite bouteille d’eau d’un demi-litre dans la sacoche de devant.
Car bien sûr, je suis trop excité pour revoir quoi que ce soit ce matin. Claire est partie faire sa petite randonnée du mercredi matin avec Marido, j’envoie mes derniers courriels, je continue à mettre en mémoire un texte du thème “nourritures” non encore achevé, mais ce n’est pas urgent, pour l’instant ce thème ne m’est pas demandé. Compte tenu de l’excitation légitime propre à un départ, je suis somme toute assez calme, serein, point trop inquiet.
Je fais des crêpes, j’en emporterai une boite, ça pourra être utile demain sur le chemin du retour, et comme ça, il y en aura aussi pour Claire et Lucile qui doit venir manger ce midi.. Je fais un saut à vélo jusqu’au marchand de journaux, c’est mercredi, jour où traditionnellement on achète Libé, ça tombe bien, gros titre : “Dix bonnes raisons de ne pas voter Sarkozy”, j’ai cru un instant voir Dix bonnes raisons de ne pas venir voir le cyclo-lecteur ! Et j’achète le pain. Au retour, je gonfle à bloc les pneus du vélo.
Midi, Lucile vient d’arriver, j’achève de déjeuner (au menu des pa^tes, sucre lent indispensable pour le vélo), et hop, dernières embrassades, je visse ma casquette sur le crâne, mets un petit sweat sur le tee-shirt et même une écharpe légère, car j’ai constaté tout à l’heure en faisant les courses que le fond de l’air reste frais – on est en avril, que diable ! – j’enfourche la bécane pour mes premiers six kilomètres jusqu’à la gare. Ne pas se presser, pas la peine de tomber ou d’avoir un accrochage dans la descente du Faubourg du pont neuf, toujours vertigineuse. Ajuster l’équilibre, car avec le sac à l’arrière, le vélo – ou moi, dans l’ivresse du départ ? – tangue un peu.
Bref, midi vingt-cinq, je suis à la gare. Je composte, repère le quai de mon train (voie Z) et cherche à le joindre d’abord par l’ascenseur : peine perdue, le vélo n’y rentre pas, il faudrait le mettre debout. Je n’y songe même pas, trop lourd. Et je préfère prendre les escaliers. Cahin-caha, je descends, enfile le souterrain, puis remonte sur le quai. Oui, c’est bien là. Ouf, car redescendre et remonter, je n’y tiens pas.
12 h 45, le TER se pointe. Voyons, quelle voiture est destinée aux vélos ? C’est dessiné dessus, formidable, on n’arrête pas le progrès. De plus, le quai et le plancher de la voiture sont de niveau, encore plus formidable. Ce qui l’est moins, c’est le système d’accrochage. Même après avoir dépouillé le vélo de mon sac à dos, il se révèle fort lourd à placer en position debout, et surtout il est difficile d’insérer la roue avant dans l’encoche prévue à cet effet, tout en la crochetant. J’ahane un peu, et, bien sûr, personne pour m’aider. Je ne vais pas tout de même pas demander de l’aide à la vieille dame voisine qui me regarde en souriant, ni à la jeune fille au nez plongé dans un bouquin. Faut vraiment être costaud, bonjour les risques de lumbago. La SNCF a-t-elle pensé aux femmes qui doivent avoir les plus grandes difficultés à mettre en place un vélo ? Le mien est-il si lourd que ça, ou mes bras si faibles ? Bon, ça y est, le crochet est entré entre deux rayons, et ça tient bien...
Je m’installe à proximité. A vrai dire, vu la complexité de la mise en place du vélo, j’imagine que l’enlever doit être assez long aussi, et je crois que la surveillance ne semble pas indispensable. Mais je préfère être à côté, à couver du coin de l’œil ma Rossinante à moi, qui vais essayer de me battre également contre des moulins à vent.
Je sors mon dossier et relis mes textes, à voix basse d’abord, puis dans ma tête, car je préfère ménager ma voix. Soudain, arrêt sur la voie : on est à Pamproux, à peu près à mi-chemin de Niort. Un haut-parleur nous signale qu’on reste arrêté pour attendre la passage d’un TGV. Allons-nous nous mettre en retard ? C’est que j’ai minuté mon temps très juste aujourd’hui. Arrivée à 13 h 57 à Niort, le temps de sortir de la gare, de me repérer, ce sera 14 h 05, 45 km jusqu’à Saint Jean d’Angély, il me faudra bien deux heures et quart, deux heures et demi, et encore s’il n’y a pas de vent, et si je n’ai pas d’incident technique.
Et bien sûr, c’est alors que je me rends compte que j’ai oublié d’emporter adresse et n° de téléphone de la bibliothèque : comment les prévenir si je prends du retard ? Mon éternel problème avec le Temps, l’angoisse de ne pas être à l’heure, qui fait qu’en réalité je suis toujours très en avance… Ainsi tout à l’heure, une demi-heure avant le départ du train à Poitiers. Il me faudrait une psychanalyse pour régler ce rapport au Temps.
Je me dis que j’aurais dû partir par un train plus tôt ce matin pour avoir du mou, tandis que les minutes s’égrènent, qui me paraissent interminables. J’ai suspendu mon souffle, cessé mes lectures, rangé mon dossier dans le sac. Enfin, on repart. Pourtant, l’arrêt n’a duré qu’à peine cinq minutes... Mais à retenir pour le futur, prévoir toujours du large !
Autre problème : le temps se couvre, pourvu qu’il ne pleuve pas ! Une autre de mes hantises... Faut dire qu’à vélo, même avec une cape et un sur-pantalon, la conduite sur route mouillée et glissante n’a rien d’agréable, sans compter l’eau qui dégouline sur les lunettes, et les freins qui répondent difficilement... Et le souvenir qui surgit de mon genou qui avait prodigieusement enflé pour avoir pris la pluie lors des vacances en 1967, sur la route de Mont de Marsan vers la Dordogne. Bref, une balade à vélo peut se transformer en enfer.
Toutefois, ne pensons pas au pire, et profitons du paysage, avec ces trains à vitesse presque humaine. Les champs de colza me paraissent de gigantesques maillots jaunes couvrant les épaules bossues des collines. Ils alternent avec des prairies où des vaches somnolentes continuent à regarder passer les trains. De-ci de-là, des bosquets, quelques haies, un village et une église dans le lointain. Des noms familiers : La Mothe Saint-Héray, Saint-Maixent, La Crèche, lieux que j’ai visité professionnellement du temps de la DRAC, j’allais dire « et de ma jeunesse folle ». Bref, j’apprécie cette différence entre déplacement (le TGV, où je m’endors immanquablement, et où le paysage défile trop vite) et voyage.
En fin de compte, il est plus facile de décrocher le vélo que de l’accrocher. Par contre, à retenir pour une autre fois : ne pas attendre pour le faire que les voyageurs se soient levés, car je manque agripper la vieille dame avec ma roue arrière. Sortie sans problèmes de la gare de Niort, avec encore obligation d’emprunter le passage souterrain, mais cette fois, c’est plus facile, car j’ai gardé le sac sur mon dos, le vélo est ainsi plus léger et j’utilise sur la bordure de l’escalier une pente aménagée pour les valises à roulettes.
J’appuie le vélo contre le mur de la gare, je regarde une dernière fois la carte, oui, il faut partir sur la gauche, et la route de Saint Jean d’Angély se profilera bientôt, presque en ligne droite sur 45 km. J’enfourche Rossinante qui hurle de plaisir en voyant une voiture s’arrêter pour me laisser passer !
Là encore, une leçon à retenir pour mes futures randonnées, éviter les grandes routes, et donc prévoir plus de temps, car le chemin des écoliers est toujours plus long. Mais là, j’étais pressé, j’avais annoncé mon arrivée pour 16 h 30... Pas question de dégotter sur la carte une route parallèle qui me rallongerait au bas mot de dix km, et d’ailleurs peut-être inexistante. Le temps est menaçant, relativement frais, je garde mon sweat pour l’instant.
La grand-route de Niort à Saint Jean d’Angély est une nationale, en fait, et je suis sans cesse dépassé par de gros bahuts, tout au moins pendant les premiers km jusqu’à l’embranchement vers l’autoroute. Après, ça se calme un peu, mais il y en aura toujours. Seul avantage, la route est rectiligne et lisse, ce qui est rarement le cas des petites routes de campagne.
En tout cas, voyage sans encombre, deux arrêts – pipi et boisson, collation de bananes séchées et chocolat – j’ai du tonus, j’enroule la plupart du temps le grand plateau, et soudain, à mes yeux éblouis, Saint Jean d’Angély est là. Il est 16 h 15.
Me reste à trouver la bibliothèque, dans une ancienne église, selon mes souvenirs, et plutôt au centre ville, mais où ? C’est que j’y suis, au centre ville. J’aperçois de vieilles maisons, une rue piétonnière, c’est très beau.
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