dimanche 29 avril 2007

26 avril 2007 : Dis, quand reviendras-tu ?


Je me réveille à sept heures. Douche, exercices d’assouplissement, comme tous les matins, puis je m’habille et débouche à huit heures moins le quart pour le petit déjeuner. Confiture de coings de Mireille.
A 9 h pétantes, Gabrielle S. vient me chercher. Je fais mes adieux aux Bonnin, les remercie vivement, on échange nos adresses électroniques. A la bibliothèque, je retrouve Rossinante, bien reposée, la brave bête ; un rapide coup d’œil me montre que les pneus sont toujours bien gonflés et qu’elle devrait encore tenir le coup, si je ne la fatigue pas trop. Je remplis ma gourde avec le reste de la bouteille qui était sur la table hier au soir, et que j’avais à peine entamée. Gabrielle me signale qu’elle a une amie documentaliste à Narbonne qui m’accueillera volontiers dans son collège l’an prochain. Décidément, ma sœur Monique m’ayant dit le même chose pour son collège, il faudra que je prépare un programme “teen agers”.
Et il est 9 h 25 quand je quitte la bibliothèque, non sans avoir remercié Gabrielle. Je tournicote un peu dans la ville pour finalement dénicher la route de Melle. J’ai décidément toujours du mal à comprendre pourquoi les panneaux indicateurs sont si rares – et, le plus souvent, placés d’un seul côté des rues ou des croisements, ce qui les rend parfois peu visibles et lisibles...
Dans mes préparatifs, j’avais décidé de faire le trajet Saint Jean d’Angély - Lusignan, et de là, prendre le train pour Poitiers, j’ai d’ailleurs le billet SNCF en poche. Mais, compte tenu de la forme que j’ai, je décide de modifier l’itinéraire et de faire toute la route jusqu’à Poitiers, en quittant après Melle la grande route pour rejoindre Lezay, Couhé-Vérac et La Villedieu-du-Clain. Ce sera plus long, mais sur ces petites routes, tellement plus agréable.
La route de Melle, sans être aussi chargée que celle de Niort hier, est en effet passablement circulante : beaucoup de camions, des camping-cars aussi, les vacances de Pâques ne sont pas finies, certains profitent de ce beau temps exceptionnel, à mon avis du jamais vu en avril. Et ça fait quinze jours que ça dure. Bien sûr, je ne m’en plains pas, mais je souffre pour les plantes qui ont probablement besoin d’eau, tout comme moi d’ailleurs, qui vais boire beaucoup dans la journée. Toutefois, il ne fait pas chaud, et je supporte l’écharpe resserrée contre ma poitrine.
Je m’arrête un instant à Aulnay-de-Saintonge.
L’église romane du XIIème siècle est de toute beauté, et, puisque j’ai le temps, faisons un peu de tourisme. J’ai mis du temps à succomber au charme des églises anciennes, romanes en particulier. Sans doute un vieux fond d’anti-catholicisme hérité de mes ancêtres parpaillots. La surcharge décorative, les statues de saints, les peintures saint-sulpiciennes, m’ont toujours défrisé. Mais ici, c’est très dépouillé, presque nu, et en phase avec mon état d’esprit actuel...
Car on se sent nu, dépouillé, sur un vélo ; on ne bénéficie d’aucune protection, on est dans l’air comme le poisson dans l’eau.
Ce sera un des nombreux arrêts de la journée, le plus souvent consacrés à boire (de l’eau), manger (mes fameuses crêpes, bananes sèches, chocolat) et faire mes besoins naturels.
J’ai toujours aimé cette expression qui s’oppose aux multiples besoins artificiels imposés par la civilisation et la publicité – et, en l’occurrence, ici, les besoins se font dans la nature – même si je remarque une nouvelle fois en traversant les villages, des panneaux indicateurs W.-C., qui montrent les progrès accomplis depuis quelques années en France, probablement sous l’impulsion de l’Europe ; il ne manque plus qu’une amélioration du côté des villes. C’est en effet toujours la croix et la bannière pour aller pisser à Paris, Bordeaux ou même Poitiers. Les “sanisettes”, payantes – d’ailleurs assez rares – et étouffantes, me donnent le mouron. Je m’y sens enfermé comme dans une boite de sardines, j’ai besoin d’espace, d’ouvertures, de fenêtres, d’air. Et les cafés font payer ce service : voilà pourquoi certains murs sont marqués par une odeur prégnante, il faut bien que la nature s’exprime, pour les SDF par exemple ou pour le simple quidam comme moi, dont le vieillissement de la prostate entraîne un besoin parfois fréquent...
Et aussi des arrêts pour reposer le corps (par exemple, petit arrêt allongé dans l’herbe l’après-midi, yeux fermés, pour savourer pendant quelques minutes le vide) ou faire quelques exercices d’assouplissement, toujours nécessaires quand la distance s’allonge.
Le vent semble contraire, peut-être aussi la route monte-t-elle insensiblement, à moins que ce ne soit le contrecoup de la journée d’hier et des émotions, ou bien du petit déjeuner insuffisant, toujours est-il que je rame : j’espérais arriver à Melle vers 11 h 30, il est déjà midi. J’ai aperçu des pierres tombales dans un jardin – un cimetière protestant du XVIIIème siècle ? L'histoire du protestantisme du « désert », au temps des persécutions, si célèbre chez nous autres, huguenots, est fortement ancrée ici, et ils en sont les marques. Vu aussi sur le bord de la route des cahutes de cantonniers en pierre datant du XIXème, et dans lesquelles on doit pouvoir s’abriter en cas de pluie, voire dormir.
Et j’ai les jambes lourdes, je pensais manger au restaurant à Lezay, il faudra que je m’arrête avant. Il y a sans doute des tas d’excellents restaurants à Melle, mais je ne tiens pas à entrer dans la ville, par souci de ne pas rallonger une étape déjà longue. Y aura-t-il quelque chose sur le bord de la route ?
Oui, j’avise un “boui-boui” ambulant placé sur un parking, un peu à l’écart de la route, et tenu par un couple de Sénégalais : c’est lui qui cuisine. Il est 12 h 20, j’arrête, et manger en plein air me plaît. De toute façon, j’aurais choisi une terrasse. Je pose le vélo contre un arbre, salue la compagnie, deux ou trois clients, regarde ce qui est proposé, choisis poulet-frites, avec un Coca. Pendant que ça se prépare, je me décontracte, enlève le sweat et l’écharpe, il commence à faire chaud, je ne crains plus de me refroidir, et je jette un œil sur les cartes IGN pour observer de plus près le parcours restant, environ 72 km. Vu la distance, un impératif : ne pas se tromper et faire de la rallonge...
Je ne suis pas un gastronome patenté, et ce genre de cuisine me convient tout à fait : l’assiette, copieuse, contient également des tomates et de la salade, et est accompagnée d’un pain en forme de petite crêpe ronde et épaisse. Le poulet est épicé, coupé en petits morceaux. Je mange lentement, interroge le restaurateur sur son commerce, il est installé là depuis juin dernier, ça marche bien, mais évidemment, il attend les grandes vacances avec impatience. Il est étonné par la chaleur « sénégalaise » de ce mois d’avril !
Il est 13 h 10 quand je reprends ma vieille Rossinante, qui m’a attendu sagement à l’ombre médiocre de l’arbre. Je suis repu. De toute façon, règle d’or, ne pas trop manger, mais manger souvent pour échapper à la fameuse fringale du cycliste. Je garde les crêpes restantes pour plus tard. De même, je me réserve d’attendre Lezay pour prendre un café qui me donnera un nouveau coup de fouet. L’embranchement vers Lezay me permet enfin de quitter la grand-route et d’échapper aux camions. C’est une route secondaire, beaucoup plus sinueuse, et sur laquelle je vois peu de circulation. Je croise deux cyclotouristes, aux vélos surchargés, que je salue d’un « Bon voyage » et qui me répondent « Merci » avec un accent marqué : Allemands, Néerlandais ? Probable qu’ils font les chemins de Saint-Jacques, mais ils ne s’arrêtent pas.
Déception à Lezay, l’unique café est fermé, c’est l’heure de la sieste, ce sera donc pour plus tard. La balade est agréable, je peux observer un four à pain, des murets de pierres sèches, un lavoir, des pigeonniers, des oiseaux de proie. Un peu plus loin, le village de Rom abrite un musée gallo-romain, semble-t-il spécialement conçu pour les enfants. A visiter un jour ?
Plus loin, Couhé-Vérac. Arrêt enfin au bistrot : il est temps, j’ai achevé ma provision d’eau et demande au patron de me garnir mes gourdes, commande un café. Je m’installe sur la terrasse. Un cycliste s’arrête aussi : mais un vrai cyclosportif, cuisses et mollets impressionnants, large cage thoracique, vélo de course, cuissard et gilet criard de publicité mode. Evidemment, avec mon short en coton et mon tee-shirt ordinaire, ma poitrine étroite et mes jambes de grenouille, je ne risque pas de le suivre. Chacun son truc. Il me salue toutefois et me souhaite bonne route.
Depuis un moment, je ne rame plus. Pourtant, j’en ai dans les pattes ! Mais j’ai dépassé le stade où la difficulté semble insurmontable : j’avais remarqué, quand je courais des marathons, que le moment le plus dur était vers le trentième kilomètre, après ça allait tout seul, on était comme en transe, dans un état d’exaltation que je souhaite à tout le monde de connaître. Il ne me reste plus que quelques 40 km. Une broutille ! Et je retrouve ce même état d’esprit. Je sais que je finirai mon étape. J’ai envoyé à Claire un message SMS lui annonçant mon arrivée vers 18 h 30…
Je retrouve Anché, petit village jusqu’où j’étais allé il y a deux semaines pour reconnaître le parcours : à partir d’ici Rossinante connaît bien le chemin, et m’entraîne sans que j’ai besoin de cravacher. Je passe donc à Château-Larcher, devant sa superbe église fortifiée et sa lanterne des morts.
Un peu plus loin, sur la route d’Aslonnes, après être resté étendu au soleil dans l’herbe un moment, je passe à côté du camp naturiste, non encore ouvert, et de la base de parapente d’où les départs sont hélitreuillés. Puis, c’est La Villedieu-du-Clain où je peux – heureusement, car la route est extraordinairement encombrée de véhicules – emprunter la piste cyclable jusqu’à Saint-Benoît.
17 h 45 : je suis devant la maison, un peu fourbu, mais content. Thé, douche…
Affaire à suivre…



Aucun commentaire: