CAMILLE DESMOULINS : Les différences ne sont pas si marquées, nous sommes tous des anges et des démons, des imbéciles et des génies, et cela en même temps.
(Georg Büchner, La mort de Danton, trad. Arthur Adamov, L’Arche, 1970)
La Fontaine nous aide à voir clair dans cette différenciation des êtres humains. Ainsi la tortue de la fable est une fieffée imbécile un rien trop curieuse et imbue d’elle-même, aussi bien que les deux canards sont aussi bien des génies (l’idée superbe de transporter la tortue dans les airs) que des démons (ne pas lui avoir assez insufflé l’idée de la prudence et de ne point ouvrir la bouche). Cette fable, peut-être un peu compliquée pour des enfants, je l’avais pourtant apprise à huit ans, puisque dans notre école de village, la classe des grands allait de 8 (CE2)à 14 ans (certificat de fin d’études), et que le maître faisait le même cours à tous les enfants de sa classe, se contentant d'alléger d’un paragraphe les dictées et d’une question les problèmes d’arithmétique pour les plus jeunes. Ce dont il aurait pu se dispenser : on assistait en commun à la correction.
La Tortue et les deux Canards
Une
Tortue était, à la tête légère,
Qui, lasse de son trou,
voulut voir le pays,
Volontiers on fait cas d'une terre
étrangère :
Volontiers gens boiteux haïssent le logis.
Deux
Canards à qui la commère
Communiqua ce beau dessein,
Lui
dirent qu'ils avaient de quoi la satisfaire :
Voyez-vous ce
large chemin ?
Nous vous voiturerons, par l'air, en
Amérique,
Vous verrez mainte République,
Maint Royaume,
maint peuple, et vous profiterez
Des différentes mœurs que
vous remarquerez.
Ulysse en fit autant. On ne s'attendait
guère
De voir Ulysse en cette affaire.
La Tortue écouta
la proposition.
Marché fait, les oiseaux forgent une
machine
Pour transporter la pèlerine.
Dans la gueule en
travers on lui passe un bâton.
Serrez bien, dirent-ils ; gardez
de lâcher prise.
Puis chaque Canard prend ce bâton par un
bout.
La Tortue enlevée on s'étonne partout
De voir aller
en cette guise
L'animal lent et sa maison,
Justement au
milieu de l'un et l'autre Oison.
« Miracle, criait-on.
Venez voir dans les nues
Passer la Reine des Tortues.
—
La Reine. Vraiment oui. Je la suis en effet ;
Ne vous en moquez
point ». Elle eût beaucoup mieux fait
De passer son
chemin sans dire aucune chose ;
Car lâchant le bâton en
desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des
regardants.
Son indiscrétion de sa perte fut cause.
Imprudence,
babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité,
Ont ensemble
étroit parentage.
Ce sont enfants tous d'un lignage.
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