Dans les rêves les morts comme les vivants n’ont pas d’âge. /
(Jeanne Benameur, La patience des traces, Actes sud, 2022)
Je lis rarement des livres récents. Mais j’ai trouvé dans une boîte à livre le roman de Carole Fives, Le jour et l’heure qui vient de paraître chez J. C. Lattès. J’y ai jeté un œil et son sujet est le suicide assisté en Suisse. Vous savez que je suis membre de l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité) qui milite (et moi avec eux), pour qu’on obtienne une loi en France pour ce droit au suicide assisté. Pour l’instant, comme dans le susdit roman, il en coûte 6000 € et nous enrichissons indûment un pays voisin, comme autrefois, les femmes allaient se faire avorter, contre espèces sonnantes dans les pays voisins.
Le jour et l’heure raconte l’histoire d’une femme, atteinte d’une maladie incurable ("Le diagnostic n’était pas encore certain mais elle avait déjà son projet. On savait ce que c’était, cette maladie. Je ne veux pas devenir démente") qui a décidé, en toute liberté, d’aller en Suisse pour mourir. Elle y entraîne son mari et ses quatre enfants. Il s’agit d’une famille de médecins (trois des enfants le sont aussi), donc, qui a les moyens financiers de le faire, qui agit en connaissance de cause et approuve la décision d’Édith, la mère. C’est qu’il "Il faut un caractère bien trempé pour faire ce que fait ma mère, nous éviter tous ces mois à l’hôpital, à la voir dépérir…", dit une des filles.
La particularité du roman est d’être découpé en courts, voire très courts chapitres, où chacun des protagonistes prend la parole tour à tour, le père, Simon, et les quatre enfants, trois filles, Anna, Audrey et Jeanne (l’artiste) et Théo, le garçon. Ils constatent que "Normalement les gens ne parlent pas de la mort, on ne parle jamais de ça, ni en famille, ni même avec les médecins". Comme ils sont, ou étaient (le père) médecins (sauf Jeanne), ils savent que "Lorsqu’on est médecin, on n’est pas préparé à la mort des gens. Notre mission, c’est de les tenir en vie coûte que coûte, en dépit de leur liberté. La mort, ce n’est pas notre sujet. Notre société est comme ça, elle ne veut pas regarder la mort en face". Mais ici, placés devant le cas concret de la mère qui les met au pied du mur, ils concluent que "La mort entre dans la normalité du vivant au même titre que la vie. La mort, c’est la vie. Il faut l’accepter pour mieux vivre" ; c’est ce que leur mère et femme leur a fait comprendre, en voulant qu’ils l’accompagnent tous pour honorer son geste.
Et aussi pour honorer cette extraordinaire liberté d’Édith, la mère, qui n’a pas voulu faire comme les autres et qui l’a fait savoir à tout son entourage. S’il y a "des gens qui sont dépassés par la liberté que prennent les autres, ça les dépasse, ça les rend dingue. Ils aimeraient que tout le monde reste englué, exactement comme eux", Édith, elle, a fait un choix qu’on peut admirer, ainsi que le fait cette famille qui l’accompagne en chœur. Aucun ne regrette, au final, d’être venu. Et tant pis si cette société de "normopathes" (comme dit Charles Juliet) préfère cacher la mort, c’est ici qu’on rencontre une nouvelle "façon de lier la vie et la mort".
Ce n'est pas un chef d’œuvre, mais un livre utile. J'ai beaucoup aimé et ça me conforte dans ma décision de faire comme l'héroïne quand le moment sera venu, c'est-à-dire de choisir moi-même le jour et l'heure. C'est au fond le seul de nos choix : regarder la mort en face. Et de plus, un hommage à Claire qui n'a pas pu le faire, mais le souhaitait.
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