samedi 23 septembre 2023

23 septembre 2023 : des femmes et des hommes

 

Mais elle ne pouvait aimer que des hommes bons. Or, un homme bon, ici-bas, c’est plutôt un être raté, une sorte de merle blanc.

(Piotr Bednarski, Les neiges bleues, trad. Jacques Burko, Autrement, 2004)


Une amie m’ayant signalé que je parle rarement de féminisme dans ce blog, je m’en suis un peu voulu, alors que je lis pas mal de choses sur le patriarcat qui règne dans nos sociétés, que j’entends beaucoup parler autour de moi de femmes battues, de viol, d’inceste. Depuis ma page livrée le 11 décembre 2019 à propos du livre de Mona Chollet (Sorcières, la puissance invaincue des femmes, Zones, 2018), je suis resté un peu muet sur la question. Mais je profite de la Lettre de Médiapart reçue ce matin pour vous livrer cet article de Michaël Haidenbreg, coresponsable du pôle Enquête :

Tout a commencé au mois de mars par un coup de fil reçu par le service abonné·es de Mediapart. Une lectrice, qui souhaite rester anonyme, veut alerter sur les comportements du présentateur vedette de M6, Stéphane Plaza, envers les femmes.

Dans son témoignage, certaines choses peuvent sembler a priori relever de la vie privée. Mais très vite, la gravité des faits évoqués interpelle. Elle décrit des actes de violence sur d’autres femmes. Et prétend que M6 sait beaucoup de choses, sans réagir.

Nous recevons un deuxième témoignage, qui sans être aussi précis, accrédite le premier. Sarah Brethes décide d’investiguer.

La première femme raconte que le présentateur préféré des Français·es, par ailleurs à la tête d’un des plus grands réseaux d’agences immobilières du pays, ment aux femmes, les utilise, les manipule. Dit comme cela, cela ne semble pas relever de l’intérêt général : le journalisme ne consiste pas à rapporter les bassesses personnelles, aussi choquantes soient-elles, d’individus, aussi célèbres soient-ils.

Sauf que les enjeux sont bien plus lourds : en voulant retrouver et alerter des femmes qui auraient été dupées, elle a découvert que certaines d’entre elles, quand elles s’étaient offusquées de ces comportements auprès du présentateur, avaient été menacées, voire violentées.

Sarah Brethes échange avec de nombreuses femmes, certaines extrêmement fragilisées, toutes rétives à l’idée de témoigner publiquement, par peur de représailles, par crainte de ne pas être entendues face à ce personnage qui jouit d’un immense capital sympathie et d’une grande notoriété.

« La mécanique est toujours la même. On dit : “Il faut libérer la parole.” Mais on voit bien que face à des hommes puissants, ces femmes, qui n’ont rien à gagner à s’exprimer, craignent les conséquences. »

D’autant que selon leur récit, Stéphane Plaza n’a eu de cesse de leur rappeler sa notoriété, son pouvoir, de leur montrer qu’elles avaient déjà bien de la chance qu’il daigne les regarder.

La question d’être comprises et entendues se pose avec encore plus d’acuité pour les violences conjugales, selon Sarah Brethes. « Les femmes savent qu’elles vont toujours se heurter en filigrane aux mêmes questions aussi simplistes qu’absurdes : pourquoi vous ne l’avez pas quitté ? Pourquoi vous n’avez pas porté plaine ? Est-ce que vous ne faites pas ça pour gagner de l’argent ? Sans compter les éternels poncifs sur les femmes vengeresses. Alors que toutes disent ne faire ça que pour protéger de futures potentielles victimes. »

Jeudi soir, bien que l’enquête de Mediapart ait été reprise partout en quelques heures, Sarah Brethes passe sa soirée au téléphone à discuter avec ces femmes qui, « pour certaines d’entre elles, se disent désespérées ».

L’une est terrorisée à l’idée de devoir témoigner devant un tribunal. Les autres ne comprennent pas ou plutôt comprennent trop bien qu’elles pèsent très peu face à la locomotive d’une des plus grandes chaînes de télévision française.

Car l’enquête a beau être accablante, la première réaction de M6 est de seulement prendre acte des dénégations de l’animateur. Comme si tout cela pouvait être balayé d’un revers de main. Vendredi au réveil, Sarah Brethes est stupéfaite : « Il y a les nombreux témoignages mais il y a aussi les traces écrites. Jusqu’à présent, M6 disait ne pas être au courant. Mais maintenant, ils le sont ! Stéphane Plaza lui-même reconnaît dans les SMS que nous avons diffusés avoir blessé une de ses compagnes. Il ne conteste pas l’authenticité de ces messages. Ce sont des faits avérés. Qu’est-ce qu’il faut publier pour faire bouger les choses ? »

A-t-elle été entendue ? Vendredi après-midi, 20 minutes annonçait qu’une enquête interne était ouverte à M6. La chaîne a-t-elle fini par comprendre, passée « la stupeur », la gravité des faits rapportés ?  Ou s’agit-il d’une simple manœuvre sans lendemains visant à affronter la vague d’indignation ? Ce sera sûrement l’objet d’une prochaine enquête. 

 

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